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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

tre successivement des goûts féminins et des appétits masculins très prononcés. « En général, les facultés affectives et les dispositions Morales subissent le contre-coup de la conformation vicieuse des organes. Toutefois, il est juste, ajoute Tardieu, de faire une large part à l’influence des habitudes et des occupations qu’impose à ces individus l’erreur commise sur leur sexe réel. Quelques-uns, élevés, dès l’origine, vêtus, placés, parfois mariés comme des femmes, conservent les pensées, les habitudes, les manières d’agir féminines. Tel est le cas de Maria Arsano, mort à quatre-vingts ans, homme en réalité, chez qui les habitudes avaient féminisé le caractère. »

Je n’ai pas l’intention de faire ici une revue des perversions ou aberrations de l’instinct sexuel dont chacune inflige sa marque à la personnalité et l’entame peu ou beaucoup, en passant ou pour toujours[1]. Comme terme de ces altération partielles, nous avons la transformation totale, le changement de sexe. Il y en a beaucoup d’exemples : le suivant peut servir de type. Lallemant raconte « le fait d’un malade qui se croyait femme et écrivait des lettres à un amant imaginaire. À l’autopsie, on constata une hypertrophie avec induration de la prostate et une altération des canaux éjaculateurs. » Il est probable que, dans beaucoup de cas, il y a eu perversion ou : abolition des sensations sexuelles.

Il y a cependant des exceptions qu’il faut signaler. Plusieurs observations détaillées (on en trouvera dans Leuret, Fragments psych., p. 114 et suivantes) nous parlent d’individus qui prennent les allures, les habitudes, la voix et, quand ils le peuvent, les vêtements de leur sexe imaginaire, sans présenter aucune anomalie anatomique ou physiologique des organes sexuels. Dans ces cas, il faut que le point de départ de la métamorphose soit ailleurs. Il ne peut être que dans l’organe cérébro-spinal. Remarquons, en effet, que tout ce qui a été dit de l’organe sexuel comme constituant ou modifiant la personnalité ne doit pas s’entendre simplement de l’organe en lui-même, délimité par sa conformation anatomique ; on doit y comprendre aussi ses connexions avec l’encéphale où il est représenté. Les physiologistes placent dans la région lombaire de la moelle le centre génito-spinal réflexe. De ce centre à l’encéphale, c’est l’inconnu : car l’hypothèse de Gall qui faisait du cervelet le siège de l’amour physique, malgré quelques observations favorables de Budge et de Lussana, est assez peu en faveur. Quelle que soit l’ignorance actuelle sur ce point, il faut bien que les impressions sexuelles aboutissent dans

  1. Voir l’article du Dr Gley « Sur les aberrations de l’instinct sexuel », dans la Revue de janvier dernier.