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source est la même, tend à modifier profondément la constitution du moi. Il se sent indécis, troublé d’un malaise vague et latent dont la cause lui échappe ; peu à peu, ces nouveaux éléments de la vie morale sont assimilés par l’ancien moi, entrent en lui, deviennent lui, mais en le faisant autre. Il est changé ; une altération partielle de la personnalité s’est accomplie, dont le résultat a été de constituer une nouveau type de caractère : le caractère sexuel. Ce développement d’un organe et de ses fonctions, avec leur cortège d’instincts, d’images, de sentiments et d’idées, a produit dans la personnalité neutre de l’enfant une différenciation, en a fait un moi mâle ou femelle, au sens complet. Jusque-là il n’y en avait qu’une ébauche, grâce à laquelle toutefois le changement a pu se faire sans choc brusque, sans rupture entre le passé et le présent, sans changement complet de la personnalité.

Si maintenant nous passons du développement normal aux exceptions et aux cas morbides, nous trouvons des variations ou des transformations de la personnalité, liées à l’état des organes génitaux.

L’effet de la castration sur les animaux est bien connu. Il ne l’est pas moins chez l’homme. À part quelques exceptions (on en trouve même dans l’histoire), les eunuques représentent une déviation du type psychique. « Tout ce qu’on sait sur eux, dit Maudsiey, corrobore cette opinion qu’ils sont pour la plupart faux, menteurs, lâches, envieux, méchants, dépourvus de sentiments sociaux et moraux, mutilés d’esprit comme de corps. » Que cette dégradation morale résulte directement de la castration, comme certains auteurs le soutiennent, ou indirectement d’une situation sociale équivoque, cela importe peu pour notre thèse : directe ou indirecte, la cause reste la même.

Chez les hermaphrodites, l’expérience vérifie ce qu’on pouvait prédire à priori. Avec les apparences d’un sexe, ils présentent quelques-uns des caractères de l’autre ; mais, loin de cumuler les deux fonctions, ils n’offrent que des organes incomplets, le plus souvent dépourvus de tout rôle sexuel. Leur caractère moral est tantôt neutre, tantôt masculin, tantôt féminin. On en trouvera d’abondants exemples chez les écrivains qui ont étudié la question[1]. « Parfois l’hermaphrodite, après avoir manifesté un goût très vif pour les femmes, est ramené par la descente des testicules à des instincts tout opposés. » Dans un cas récent observé par le Dr Magitot et qu’on trouvera rapporté ici (janvier 1884), une hermaphrodite femme mon-

  1. Pour les faits, consulter Isid. Geoffroy Saint-Hilaire : Histoire des anomalies, t.  II, p. 65 et suivantes. — Tardieu et Laugier, Dictionnaire de médecine, art. Hermaphrodisme, etc.