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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

geait complètement d’habitude et de maintien et reprenait son véritable nom. Mais il présentait alors un cachet prononcé de mélancolie, se promenant lentement, silencieux et solitaire, lisant habituellement l’Imitation de Jésus-Christ et les Pères de l’Église et il restait dans cet état mental, qui est lucide si l’on veut, mais que je suis loin de considérer comme normal, jusqu’au retour du lieutenant Nabon. »

Les deux premiers cas cités ne sont, en définitive, qu’une exagération, un grossissement considérable de ce qui se passe à l’état normal. Notre moi à tous est constitué par des tendances contradictoires : vertus et vices, modestie et orgueil, avarice et prodigalité, désir du repos et besoin de l’action, et bien d’autres. A l’ordinaire, ces tendances opposées se font équilibre ou du moins celle qui prévaut n’est pas sans contrepoids. Ici, grâce à des conditions organiques assez bien déterminées, il n’y a pas seulement rupture, mais impossibilité d’équilibre : un groupe de tendances s’hypertrophie aux dépens du groupe antagoniste qui s’atrophie ; puis une réaction a lieu en sens inverse, en sorte que la personnalité, au lieu de consister en ces oscillations moyennes dont chacune représente un côté de la nature humaine, passe toujours d’un excès à l’autre. Remarquons en passant que ces maladies de la personnalité consistent en une réduction à un état plus simple ; mais le moment n’est pas venu d’insister sur ce point important.

III

La nutrition étant moins une fonction que la propriété fondamentale de tout ce qui vit, les tendances et sentiments qui s’y rattachent ont un caractère très général. Il n’en est plus de même pour ce qui concerne la conservation de l’espèce. La fonction liée à une partie déterminée de l’organisme se traduit par des sentiments d’un caractère très net. Elle est donc tout à fait propre à vérifier notre thèse ; car, si la personnalité est un composé variant d’après ses éléments constitutifs, un changement dans les instincts sexuels la changera, une perversion la pervertira, une interversion l’intervertira : c’est ce qui arrive.

Rappelons d’abord des faits bien connus, quoiqu’on n’en tire pas généralement les conclusions qu’ils imposent. À la puberté, un nouveau groupe de sensations et par suite de sentiments et d’idées se fait jour. Cet afflux d’états psychiques inaccoutumés, stables parce que leur cause est stable, coordonnés entre eux parce que leur