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Enfin l’obscénité de ses paroles et ses provocations érotiques nécessitent son placement dans un quartier solitaire. Elle dit s’appeler Mme Poulmaire et donne les détails les plus cyniques sur son ancien état de prostituée. » Puis, après une période d’abattement, « elle redevient douce et timide ; elle pousse le sentiment de la décence jusqu’au scrupule. Elle arrange sa toilette avec une sévérité extrême. L’intonation de sa voix a quelque chose de particulier. Elle parle du Bon-Pasteur de Metz et de son désir d’y retourner : elle s’appelle maintenant sœur Marthe des Cing-Plaies, Thérèse de Jésus, sœur Marie de la Résurrection. Elle ne parle plus à la première personne : Prenez notre robe, dit-elle à la sœur, voilà notre mouchoir. Rien ne lui appartient plus en propre (suivant la règle des couvents catholiques)… Elle voit des anges qui lui sourient ; elle a des moments d’extase. »

Dans un autre cas rapporté par Krafft-Ebing, un homme névropathique et issu d’aliéné, « pendant la période dépressive, était dégoûté du monde, préoccupé de la pensée d’une mort prochaine, de l’éternité, et pensait alors à se faire prêtre. Durant les périodes maniaques, il est turbulent, étudie avec fureur, ne veut plus entendre parler de théologie et ne pense qu’à pratiquer la médecine. »

Une folle de Charenton, d’un esprit très distingué et très ingénieux, « changeait de personnage, de condition, de sexe même, du jour au lendemain. Tantôt fille de sang royal et fiancée à un empereur, tantôt plébéienne et démocrate, aujourd’hui mariée et enceinte, demain encore vierge. Il lui arrivait aussi de se prendre pour un homme ; elle se figura un jour être un prisonnier politique d’importance et composa des vers à ce sujet. »

Dans l’observation suivante, nous trouvons la formation complète d’une seconde personnalité. « Un aliéné de la maison de Vanves, dit Billod[1], tous les dix-huit mois environ, laissait pousser sa barbe et se présentait avec un extérieur et des manières insolites à toute la maison, comme étant un lieutenant d’artillerie nommé Nabon, récemment arrivé d’Afrique pour remplacer son frère. Il disait que, avant de partir, celui-ci lui avait donné des renseignements sur tout le monde, et il demandait et obtenait l’honneur d’être présenté à chacun, à son arrivée. Le malade restait alors plusieurs mois dans un état d’exaltation prononcée, conformant toute sa conduite à sa nouvelle individualité. — Au bout de quelque temps, il annonçait le retour de son frère, qu’il disait être dans le village et qui devait venir le remplacer. Puis un jour, il faisait complètement couper sa barbe, chan-

  1. Annales médico-psychologiques, 1858, ap. Ritti, ouvrage cité, p. 456.