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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

sans se préoccuper de ce qui résulte de son apparition. Ils ont bien dit qu’elle éclaire ; ils n’ont pas montré qu’elle ajoute. Encore une fois, la conscience n’est en elle-même qu’un phénomène, qu’un accompagnement. S’il existe des animaux chez qui elle paraisse et disparaisse à chaque instant, sans laisser de trace, il est rigoureusement exact de les appeler des automates spirituels ; mais si l’état de conscience laisse un résidu, un enregistrement dans l’organisme, il n’agit plus seulement comme indicateur, mais comme condensateur. La métaphore de l’automate n’est plus acceptable. Ceci admis, bien des objections à la théorie de la conscience-phénomène tombent d’elles-mêmes., Elle est complétée, sans être infirmée.

II

Nous avons à étudier maintenant le rôle des états affectifs dans la formation et les altérations de la personnalité. Rappelons d’abord une fois pour toutes que nous continuons sous une autre forme l’étude des conditions organiques[1]. Les désirs, sentiments, passions, qui donnent au caractère son ton fondamental ont leurs racines dans l’organisme, sont prédéterminés par lui. Il en est de même des plus hautes manifestations intellectuelles. Toutefois, comme les états psychiques ont ici un rôle prépondérant, nous les traiterons comme causes immédiates des changements de la personnalité, n’oubliant jamais d’ailleurs que ces causes sont des effets à leur tour.

Sans prétendre à une classification rigoureuse des manifestations affectives, que nous n’avons pas à suivre dans le détail, nous les réduirons à trois groupes dont la complexité psychologique va en croissant et l’importance physiologique en décroissant, Ce sont : 1o les tendances liées à la conservation de l’individu (nutrition, défense) ; 2o celles qui tiennent à la conservation de l’espèce ; 3o enfin, les plus élevées de toutes qui supposent le développement de l’intelligence (manifestations morales, religieuses, esthétiques, scientifiques, ambition sous toutes ses formes, etc.). Si l’on considère le développement de l’individu, on verra que c’est dans cet ordre chronologique que les sentiments apparaissent. On le verra mieux encore dans l’évolution de l’espèce humaine. Les races inférieures, chez qui l’éducation ne vient pas corriger la nature en apportant le résultat accumulé du travail des siècles, ne dépassent guère la conservation de l’individu et de l’espèce ou ne manifestent qu’une grossière ébauche des sentiments du troisième groupe.

  1. Voir la Revue de décembre 1883.