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romanciers et les poètes, bons observateurs de la nature humaine, ont souvent décrit cette situation où une passion, — amour et haine, — longtemps couvée, inconsciente et ignorante d’elle-même, enfin se fait jour, se reconnaît, s’affirme avec clarté, devient consciente. Alors son caractère change ; elle redouble d’intensité ou est enrayée par des motifs antagonistes. Ici encore la conscience est un nouveau facteur qui a modifié la situation psychologique. — On peut d’instinct, c’est-à-dire par une cérébration inconsciente, résoudre un problème, mais il est fort possible qu’un autre jour, à un autre moment, on échoue devant un problème analogue. Si au contraire la solution a été atteinte par un raisonnement conscient, l’échec est bien peu probable dans le second cas, parce que, chaque pas en avant marquant une position acquise, on ne marche plus en aveugle. Ceci ne diminue d’ailleurs en rien le rôle du travail inconscient dans les découvertes.

Ces exemples pris au hasard suffisent à monter que les métaphores citées plus haut sont vraies pour chaque état de conscience pris en lui-même. Oui, il n’est en lui-même qu’une lumière sans efficacité, que la simple révélation d’un travail inconscient ; mais, par rapport au développement futur de l’individu, il est un facteur de premier ordre.

Ce qui est vrai de l’individu l’est aussi de l’espèce et de la succession des espèces. Au seul point de vue de la survivance du plus apte et en dehors de toutes considérations psychologiques, l’apparition de la conscience sûr la terre a été un fait capital. Par elle, l’expérience, c’est-à-dire une adaptation d’ordre supérieur, a été possible pour l’animal. Nous n’avons pas à en rechercher l’origine. On a fait à ce sujet des hypothèses très ingénieuses qui rentrent dans le domaine de la métaphysique. La psychologie expérimentale n’a pas à s’en occuper. Elle prend la conscience à titre de datum. Il est vraisemblable qu’elle s’est produite d’abord, comme toute autre manifestation vitale, sous une forme rudimentaire et, en apparence, sans grande efficacité. Mais dès qu’elle a été capable de laisser un résidu, de constituer dans l’animal une mémoire au sens psychique, qui à capitalisé son passé au profit de son avenir, une chance nouvelle de survie s’est produite. À l’adaptation inconsciente, aveugle, accidentelle, dépendante des circonstances, s’est ajoutée un adaptation consciente, suivie, dépendante de l’animal, plus sûre et plus rapide que l’autre : elle a abrégé le travail de la sélection.

Le rôle de la conscience dans la développement de la vie psychique est donc évident. Si j’ai tant insisté, c’est que les promoteurs de l’hypothèse soutenue ici ne l’ont, considérée que dans son présent,