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sion de tous les autres éléments nerveux et de toutes les autres associations possibles. Pour le second cas, il faut et il suffit que des conditions supplémentaires, quelles qu’elles soient, s’ajoutent, sans rien changer à la nature du phénomène, sinon de le rendre conscient. On comprend aussi comment la cérébration inconsciente fait tant de besogne sans bruit et, après une incubation souvent très longue, se révèle par des résultats inattendus. Chaque état de conscience ne représente qu’une portion très faible de notre vie psychique, parce qu’il est à chaque instant soutenu et pour ainsi dire poussé par des étais inconscients. Chaque volition, par exemple, plonge jusqu’au plus profond de notre être ; les motifs qui l’accompagnent et l’expliquent en apparence, ne sont jamais qu’une faible partie de sa véritable cause. De même pour un grand nombre de nos sympathies et antipathies, et le fait est tellement clair que les esprits les plus dénués d’observation s’étonnent souvent de ne pouvoir s’en rendre compte.

Il serait fastidieux et hors de propos de continuer cette démonstration. Si le lecteur le désire, qu’il prenne dans la Philosophie de l’Inconscient de Hartmann la partie intitulée « Phénoménologie ». Il y trouvera classées toutes les manifestations de la vie inconsciente de l’esprit, et il verra qu’il n’y a pas un fait qui ne s’explique avec l’hypothèse soutenue ici. Qu’il essaye ensuite de l’autre.

Un dernier point nous reste à examiner. La théorie qui considère la conscience comme un phénomène, issue (on pourrait le montrer, si cette digression était ici à sa place) de ce principe fondamental en physiologie : « Le réflexe est le type de l’action nerveuse et la base de toute activité psychique, » a paru à beaucoup de bons esprits paradoxale et irrévérencieuse. Il leur semble qu’elle ôte à la psychologie toute solidité et toute dignité. Ils répugnent à admettre que les manifestations les plus hautes de la nature soient instables, fugaces, surajoutées et, quant à leurs conditions d’existence, subordonnées. Pourtant ce n’est là qu’un préjugé. La conscience, quelles qu’en soient l’origine et la nature, ne perd rien de sa valeur : c’est en elle-même qu’elle doit être appréciée ; et pour qui se place au point de vue de l’évolution, ce n’est pas l’origine qui importe, mais la hauteur atteinte. L’expérience nous montre d’ailleurs qu’à mesure qu’on remonte dans la série, les composés naturels sont plus complexes et plus instables. Si la stabilité donnait la mesure de la dignité, le premier rôle serait dévolu aux minéraux. Cette objection, toute de sentiment, n’est donc pas recevable. Quant à la difficulté d’expliquer avec cette hypothèse l’unité et la continuité du sujet conscient,