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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

et elle fut bien étonnée d’apprendre que j’avais fait une absence d’une demi-heure[1]. »

Je ne vois pas ce qu’on peut objecter aux faits de ce genre, à moins d’en revenir à l’inévitable hypothèse d’états de conscience qui n’auraient laissé aucune trace dans la mémoire ; mais, encore une fois, c’est là une hypothèse gratuite, sans vraisemblance. Ceux qui sont sujets aux évanouissements avec perte de connaissance savent bien que, pendant leur durée, ils peuvent tomber, se meurtrir un membre, renverser une chaise, et en revenant à eux n’avoir aucune idée de ce qui s’est produit. Est-il vraisemblable que ces accidents assez graves, s’ils avaient été accompagnés de conscience, n’eussent laissé aucun souvenir persistant au moins quelques secondes ? Nous ne nions aucunement que dans certaines circonstances, normales ou morbides (par exemple chez les hypnotisés), des états de conscience ne laissent aucune trace apparente au réveil et peuvent se raviver plus tard ; nous restreindrons autant qu’on voudra les cas d’interruption complète de la conscience ; il suffit qu’il y en ait un seul pour susciter à l’hypothèse de l’âme, substance pensante, des difficultés invincibles. Dans l’hypothèse contraire, tout s’explique aisément. Si la conscience est un événement dépendant de conditions déterminées, rien d’étonnant si elle manque parfois.

On pourrait, si c’était ici le lieu de traiter à fond la question de la conscience, montrer que, dans notre hypothèse, le rapport du conscient à l’inconscient n’offre plus rien de flottant ni de contradictoire. Le terme inconscient peut toujours être traduit par cette périphrase : un état physiologique qui étant quelquefois et même le plus souvent accompagné de conscience ou l’ayant été à l’origine, ne l’est pas actuellement. Cette caractéristique, négative comme psychologie, est positive comme physiologie. Elle affirme que dans tout événement psychique, l’élément fondamental et actif est le processus nerveux, que l’autre n’est que concomitant. Par suite, il n’y a plus de difficulté à comprendre que toutes les manifestations de la vie psychique puissent être tour à tour inconscientes et conscientes. Pour le premier cas, il faut et il suffit qu’il se produise un processus nerveux déterminé, c’est-à-dire la mise en jeu d’un nombre déterminé d’éléments nerveux formant une association déterminée, à l’exclu-

  1. Despine, Psychologie naturelle, t.  I, p. 522. Les aliénistes ont mentionné des cas où, un état pathologique supprimant la conscience brusquement, le malade, après un intervalle plus ou moins long, reprend son discours au mot où il s’était arrêté. Voir d’autres faits de ce genre dans Winslow : On obscure Diseases, etc., p. 322 et suivantes.