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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

pour corroborer notre hypothèse de montrer que seule elle explique un caractère capital (non plus une condition) de la conscience, — son intermittence. Pour éviter dès le début toute équivoque, notons qu’il ne s’agit pas de la discontinuité des états de conscience entre eux. Chacun a pour ainsi dire ses limites, qui, tout en lui permettant de s’associer aux autres, sauvegardent son individualité propre. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais de ce fait bien connu que la conscience a ses interruptions, ou, pour parler le langage vulgaire, qu’on ne pense pas toujours.

Il est vrai que cette assertion a été contredite par la majorité des métaphysiciens. En réalité, ils n’ont jamais fourni de preuves à l’appui de leur thèse, et, comme toutes les apparences sont contre elle, il semble bien que c’est à eux qu’incombait l’onus probandi. Toute leur argumentation se réduit à dire que puisque l’âme est essentiellement une chose pensante, il est impossible que la conscience n’existe pas toujours à un degré quelconque, quand même il n’en reste aucune trace dans la mémoire. Mais c’est là une simple pétition de principe, puisque l’hypothèse que nous soutenons conteste justement leur majeure. Leur preuve prétendue n’est, en définitive, qu’une déduction tirée d’une hypothèse contestée. — Écartons toute solution à priori pour examiner la question en elle-même. Laissons de côté les cas de syncope, d’anesthésie provoquée, de vertige épileptique, de coma, etc., pour nous en tenir au plus vulgaire et au plus fréquent : l’état psychique pendant le sommeil. On a affirmé qu’il n’y a jamais de sommeil sans rêve ; c’est là une assertion purement théorique, conséquence du principe sus-énoncé que l’âme pense toujours. La seule raison de fait qu’on puisse invoquer, c’est que parfois le dormeur, apostrophé ou interrogé, répond d’une façon assez cohérente et n’en a aucun souvenir au réveil. Cependant ce fait ne justifie pas une conclusion générale et, à la théorie des métaphysiciens, la physiologie en oppose une autre. Elle fait remarquer que la vie de tout organe comprend deux périodes : l’une de repos relatif ou d’assimilation, l’autre d’activité ou de désassimilation ; que le cerveau ne fait pas exception à cette loi et que l’expérience montre que la durée du sommeil, aux diverses époques et dans les diverses circonstances de la vie, est en raison directe du besoin d’assimilation. Sa cause est la nécessité de réparer les pertes, de faire succéder la circulation nutritive à la circulation fonctionnelle. Pendant la veille, le cerveau brûle plus de matériaux que le sang ne lui en fournit, en sorte que l’oxydation diminue bientôt et avec elle l’excitabilité du tissu nerveux. Les expériences de Preyer montrent que le sommeil survient lorsque, par suite d’une activité prolongée, la substance du cerveau,