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volitions, souvenirs, raisonnements, inventions, etc., peuvent être tour à tour conscientes et inconscientes. Il n’y a rien de mystérieux dans cette alternance, puisque, dans tous les cas, les conditions essentielles — c’est-à-dire les conditions physiologiques — pour chaque événement restent les mêmes, et que la conscience n’est qu’un perfectionnement.

Resterait à déterminer pourquoi ce perfectionnement tantôt s’ajoute, tantôt manque : car, s’il n’y avait pas dans le phénomène physiologique lui-même quelque chose de plus dans le premier cas que dans le second, nous donnerions indirectement gain de cause à l’hypothèse adverse. Si l’on pouvait établir que, toutes les fois que certaines conditions physiologiques existent, la conscience apparaît ; que toutes les fois qu’elles disparaissent, elle disparaît ; que toutes les fois qu’elles varient, elle varie ; ce ne serait plus une hypothèse, mais une vérité scientifique. Nous en sommes bien loin. En tout cas, on peut à coup sûr prédire que ce n’est pas la conscience qui nous donnera sur elle ces révélations. Comme le dit justement Maudsley, elle ne peut être, au même moment, effet et cause — elle-même et ses antécédents moléculaires ; elle ne vit qu’un instant et ne peut par une intuition directe retourner en arrière jusqu’à ses antécédents physiologiques immédiats ; et d’ailleurs redescendre jusqu’à ces antécédents matériels, ce serait saisir non elle-même, mais sa cause.

Il serait chimérique, pour le présent, d’essayer une détermination même grossière des conditions nécessaires et suffisantes de l’apparition de la conscience. On sait que la circulation cérébrale, sous le double rapport de la quantité et de la qualité du sang, importe beaucoup. Les expériences faites sur la tête d’animaux fraîchement décapités en donnent une preuve saisissante. — On sait que la durée des processus nerveux dans les centres importe aussi. Les recherches psychométriques démontrent chaque jour que l’état de conscience requiert un temps d’autant plus long qu’il est plus complexe et que, au contraire, les actes automatiques, primitifs ou acquis, dont la rapidité est extrême, n’entrent pas dans la conscience, On peut admettre encore que l’apparition de la conscience est liée à la période de désassimilation du tissu nerveux, comme Herzem l’a fait voir en détail ici-même[1]. Mais tous ces résultats ne sont que des conquêtes partielles : or la connaissance scientifique de la genèse d’un phénomène suppose la déterminaison de toutes ses conditions essentielles.

L’avenir les donnera peut-être. En attendant, il sera plus fructueux

  1. Revue philosophique, t.  VII, p. 353.