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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

parlent d’idées latentes, de conscience inconsciente : expressions tellement vagues, tellement pleines d’inconséquences que beaucoup d’auteurs en ont fait l’aveu. Si, en effet, l’âme est posée à titre de substance pensante, dont les états de conscience sont des modifications, on ne peut que par une contradiction manifeste lui rapporter les états inconscients ; tous les subterfuges de langage et les habiletés dialectiques n’y feront rien : et, comme on ne peut nier la haute importance de ces étais inconscients comme facteurs de la vie psychique, on ne peut sortir d’une situation inextricable.

La seconde hypothèse débarrasse de toute cette logomachie ; elle met à néant les problèmes factices qui pullulent dans l’autre (par ex., si la conscience est une faculté générale ou particulière, etc.) et nous pouvons sans crainte réclamer pour elle le bénéfice de la lex parcimoniæ. Elle est plus simple, plus claire, plus consistente, Par opposition à l’autre, on peut la caractériser en disant qu’elle exprime l’inconscient en termes physiologiques (états du système nerveux) et non en termes psychologiques (idées latentes, sensations non senties, etc.). Mais ce n’est là qu’un cas particulier de l’hypothèse qu’il faut considérer dans son ensemble.

Remarquons d’abord que, comme tous les termes généraux, la conscience doit se résoudre en données concrètes. De même qu’il n’y a pas une volonté en général, mais des volitions, il n’y a pas une conscience en général, mais des états de conscience ; eux seuls sont la réalité. Quant à définir l’état de conscience, le fait d’être conscient, ce serait une entreprise vaine et oiseuse ; c’est une donnée d’observation, un fait ultime. La physiologie nous apprend que sa production est toujours liée à l’activité du système nerveux, en particulier du cerveau. Mais la réciproque n’est pas vraie : si toute activité psychique implique une activité nerveuse, toute activité nerveuse n’implique pas une activité psychique. L’activité nerveuse est beaucoup plus étendue que l’activité psychique : la conscience est donc quelque chose de surajouté. En d’autres termes, il faut considérer que tout état de conscience est un événement complexe qui suppose un état particulier du système nerveux ; que ce processus nerveux n’est pas un accessoire, mais une partie intégrante de l’événement, bien plus, qu’il en est la base, la condition fondamentale ; que, dès qu’il se produit, l’événement existe en lui-même ; que dès que la conscience s’y ajoute, l’événement existe pour lui-même ; que la conscience le complète, achève, mais ne le constitue pas.

Dans cette hypothèse, il est facile de comprendre comment toutes les manifestations de la vie psychique, sensations, désirs, sentiments,