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tégoriques : ils diront toujours : Si Socrate est homme, il est mortel : or, etc. Il reste toujours à trouver le critérium non de la vérité déduite, mais de la vérité réelle.

La vérité réelle est accord, non de nos idées entre elles, mais de nos idées avec les choses. Or, il y a une nécessité analogue à la précédente, mais empirique, qui nous empêche de lier nos sensations autrement que d’une certaine manière. Si dissemblables qu’elles puissent être aux causes qui les provoquent, nos sensations, en tant que distinctes des images, en tant que données, se succèdent suivant un ordre qu’il ne nous appartient pas de modifier : nous le subissons sans le faire.

Il y a des synthèses subjectivement nécessaires : il y a des synthèses objectivement nécessaires : voilà le double critérium correspondant aux deux sortes de vérité. Toutes les fois que l’adhésion sera donnée à l’une de ces synthèses, rien n’empêchera de l’appeler certitude : ce sera la certitude métaphysique ou logique dans le premier cas, la certitude physique dans le second. Toutes les fois que la vérification ne sera pas possible, a priori ou a posteriori, on se contentera du mot croyance, ou du mot foi. Il se peut d’ailleurs que cette croyance atteigne subjectivement le plus haut degré d’intensité, et par là ressemble à la certitude. L’appeler certitude morale, comme le font quelques auteurs, c’est d’abord détourner le mot de son sens habituel : car il est consacré par l’usage à désigner une autre sorte de croyance. C’est ensuite préparer des équivoques en effaçant la distinction la plus nette qu’on puisse trouver entre les différentes sortes de croyances.

Cette théorie est au fond, bien qu’ils ne se soient peut-être pas toujours exprimés avec une rigueur suffisante, celle qu’ont défendue les plus grands philosophes. Il arrive bien à Descartes de prendre l’adhésion elle-même, ou l’impossibilité-de douter pour critérium de la vérité : ainsi quand il proclame le cogito, il déclare que les plus extravagantes suppositions des sceptiques ne sauraient l’ébranler. Mais ordinairement, il ne parle que de la clarté et de la distinction des idées : c’est dans l’élément intellectuel, pris en lui-même et isolé de tout autre, qu’il trouve son critérium. Et Spinoza tient à peu près le même langage.

L’expression si fréquemment usitée, critérium de la certitude, est souverainement impropre. Si on définit la certitude comme le dogmatisme cartésien, elle n’a pas besoin de critérium, ainsi que Spinoza l’a très justement fait remarquer[1], et n’en saurait avoir : car elle est

  1. Veritas nullo eget signo (Spinoza, De intellectus emendatione, p. 12).