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BEAUSSIRE. — l’indépendance de la morale

métaphysique : l’unité de la personne humaine, le libre arbitre, la raison pure dans le sens où l’entendent les métaphysiciens. Ce sont là sans doute, pour ceux qui en admettent la réalité, des attributs de la nature humaine ; mais ils ne rentrent pas proprement dans la science expérimentale de l’homme ; ils appartiennent à la psychologie rationnelle, qui n’est qu’une des branches de la métaphysique, et tous les adversaires dela métaphysique les rejettent avec elle. Ils rattachent donc, sinon pour tous les hommes, du moins pour une grande partie de l’humanité, la loi morale à la métaphysique. Et si de ces attributs de l’homme on s’élève aux attributs de Dieu, la loi morale se trouve encore chez elle dans ce domaine de la pure métaphysique et des religions positives. Parmi les attributs divins, ceux que les philosophes et les théologiens se plaisent surtout à reconnaître et pour lesquels ils obtiennent, dans la plupart des âmes, l’assentiment le plus facile et le plus fidèle sont des attributs moraux. Ces attributs font de Dieu même un des agents, un des sujets de la loi morale ; car ils posent dans les consciences la question de sa bonté ou de sa justice ; ils appellent sur ses actes, vrais au prétendus, le jugement moral des hommes, soit qu’on le bénisse pour ses bienfaits, soit qu’on l’accuse d’injustice ou d’impitoyable rigueur.

Nous ne voulons discuter ici aucune question de psychologie rationnelle, de philosophie religieuse ou de théologie. Nous remarquerons seulement, comme nous l’avons déjà fait pour les devoirs envers Dieu, que si la morale métaphysique ou théologique n’est pas la morale de tous les hommes, elle impose à tous les hommes des devoirs spéciaux de tolérance et de respect. On peut varier sur l’étendue et les limites de ces devoirs ; mais, par cela seul que tous les hommes ne les entendent pas de la même façon, ils réclament une place à part dans les définitions et les interprétations de la loi morale. Nulle morale ne peut exclure entièrement de son domaine les systèmes métaphysiques et les dogmes religieux. Là où ces systèmes ou ces dogmes obtiennent l’adhésion plus ou moins ferme de la raison ou de la foi, ils entrent directement dans la loi morale par la révélation de certains devoirs ou par l’indication de certains agents moraux. Ils y entrent encore, d’une façon indirecte, là où ils n’obtiennent aucune créance, en imposant aux consciences mêmes qui les rejettent certains égards qui se mesurent, sinon à leur valeur propre, du moins à la sincérité des convictions et à l’élévation des sentiments qu’ils ont su inspirer à leurs sectateurs.

III

La loi morale n’est indifférente ou étrangère à aucun des objets