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BROCHARD. — DE LA CROYANCE

acquiescement ou consentement. Il faut distinguer l’adhésion de l’idée à laquelle on adhère. Le sens commun et même les philosophes, ont quelque peine à faire cette distinction l’analyse l’exige. Primitivement, l’esprit humain ne sépare pas les idées et les choses il prend les idées pour des choses il est naïvement réaliste. De là, le principe si longtemps admis comme un axiome On ne pense pas ce qui n’est pas. L’expérience, c’est-à-dire la découverte de l’erreur ne tarde pas à prouver qu’il y a deux choses là où d’abord on n’en a vu qu’une seule ainsi on distingue le sujet et l’objet. Cette première séparation accomplie, il en reste une seconde qui ne se fait que beaucoup plus tard dans le sujet lui-même, il faut distinguer l’acte par lequel on croit de la chose ou plutôt de l’idée à laquelle on croit. Ces deux faits, ordinairement unis, ne le sont ni toujours, ni nécessairement ils ne sont pas fonction l’un de l’autre.

Il n’y a pas, nous venons de le montrer, de croyances nécessaires. Y a-t-il du moins des idées ou plutôt des rapports entre les idées, qui s’imposent nécessairement à la pensée ? Voilà à quoi se réduit en dernière analyse la question du critérium. Les dogmatistes de tous les temps ont bien vu qu’il n’y a point de critérium s’il n’y a pas de nécessité, si l’esprit fait lui-même, et fait seul, la vérité, si rien n’est donné. Seulement, cette nécessité, ils ont cru la trouver dans le mode d’adhésion accordée à certaines idées, c’est-à-dire dans la certitude or l’expérience démontre qu’une telle nécessité est illusoire. Exclue de l’adhésion, la nécessité se retrouve peut-être dans les synthèses mentales à cette condition seulement on pourra dire qu’il y a un critérium de vérité.

D’abord, le principe de contradiction nous atteste qu’il y a des synthèses d’idées nécessaires. On peut, comme les Épicuriens, et bien d’autres, ne pas croire aux vérités mathématiques mais il est impossible de penser, je veux dire de lier des idées, si l’on n’observe le principe de contradiction. Se soumettre à cette loi, voilà une nécessité à laquelle la pensée ne peut se soustraire sans se détruire. En ce sens, il y a un critérium, et nous pouvons déclarer que tout ce qui implique contradiction est faux.

Toutefois, ce n’est là encore qu’un critérium infaillible de l’erreur ou s’il peut servir à connaître quelque vérité, ce n’est jamais qu’une vérité dérivée et en fin de compte hypothétique. En mathématique et en logique les conséquences les plus rigoureusement déduites ne sont jamais vraies qu’en supposant vraies les prémisses d’où on les tire. Les stoïciens ont mieux que personne marqué le caractère des vérités de cet ordre les majeures de leurs syllogismes ne sont jamais comme les nôtres, présentées à titre d’assertions ca-