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tuelle des sciences et de leurs objets. Il place l’astronomie, dans l’ordre d’indépendance, avant la physique et la chimie qui précèdent elles-mêmes, suivant le même ordre, la biologie. La classification est exacte s’il s’agit des objets de ces diverses sciences ; elle ne l’est plus si on l’applique, comme paraît le faire Auguste Comte, aux sciences elles-mêmes. Au point de vue des choses, la loi de la pesanteur est un mode particulier et une dépendance dela loi universelle de la gravitation ; mais, au point de vue de la connaissance, la découverte de la loi astronomique dépendait évidemment de celle de la loi physique. Les plus grands progrès de l’astronomie sont dus aux progrès de l’optique, une des branches de la physique, et l’optique elle-même, en bien des points, n’a pu avancer qu’à la suite de la physiologie et de la psychologie elle-même. Les mêmes distinctions s’appliquent aux objets immatériels, soit concrets, soit abstraits. L’idée de Dieu dépend d’un grand nombre de conceptions de tout ordre : Dieu n’est pas moins, par définition, le plus indépendant des êtres ou plutôt le seul être à qui l’on attribue l’indépendance absolue. Les lois de la logique, considérées en elles-mêmes, sont les plus indépendantes de toutes les lois naturelles, car tout repose sur elles, dans toutes les sciences ; mais, considérées dans la connaissance que nous avons pu en acquérir, elles dépendent d’abord de l’étude psychologique de l’intelligence et elles ne peuvent être bien comprises qu’à la lumière de toutes les sciences où elles trouvent leur application.

La morale ne fait pas exception : nulle science n’est plus dépendante que la science de la morale ; l’objet de la morale, le bien, le devoir, la vertu, réclame, au contraire, une indépendance que ne possède à un degré supérieur aucun autre objet de la pensée humaine.

Aucune science, en tant que science, n’est pleinement indépendante. Les plus générales et les plus simples, nous l’avons vu pour l’astronomie, dépendent, en plus d’un point, des plus particulières et des plus complexes. C’est avec raison toutefois qu’Auguste Comte reconnaît dans la plus grande complexité le signe de la plus grande dépendance. La morale compte manifestement parmi les sciences les plus complexes. Ses préceptes, pour être clairement compris et justement appliqués, supposent la connaissance de tous les ressorts de l’âme et cette connaissance elle-même doit nécessairement s’appuyer sur celle des fonctions de la vie physique dont l’âme subit la dépendance. Les préceptes de la morale mettent également en jeu toutes les relations des hommes entre eux et, par ces relations, ils soulèvent toutes les questions sociales, Ils ont leurs racines dans la