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de le rétablir en quelques mots. La haute estime où je tiens votre savant recueil me fait désirer vivement, dans l’intérêt de la vérité objective, d’établir que c’est bien gratuitement que mon honorable critique m’impute une contradiction tellement flagrante qu’il ne resterait rien de ma démonstration, si elle était prouvée.

« M. de Pressensé, dit M. Maurice Vernes, reproche au transformisme matérialiste de ne pas tenir compte des bornes de la science. Il proclame dans sa préface que la science ne peut dépasser l’étude des conditions d’existence et, au cours même de son volume, il traite les questions d’origine avec la décision du dogmatisme le plus imperturbable. Singulier spectacle ! Instructive contradiction ! »

Je ne puis imposer à personne la lecture attentive de ce que j’écris. Pourtant il m’est permis de trouver étrange que mon critique néglige totalement la distinction que j’ai faite presque à toutes les pages de la première partie de mon livre entre les sciences de la nature qui ne sauraient d’après moi aborder expérimentalement d’autre domaine que celui des conditions d’existence, — domaine dans lequel elles sont souveraines et indemnes de toute autorité — et la métaphysique, dont j’ai revendiqué la compétence, quand elle use des méthodes que je crois légitimes. « La science positive, ai-je dit, se distingue nettement de la religion et de la métaphysique. La tâche qui lui est assignée par le positivisme est bien la sienne. Sa mission est de constater partout les conditions d’existence, l’enchaînement des faits, ce qu’on a le droit d’appeler le déterminisme de la nature, tout ce qui tombe dans le champ de l’observation et de l’expérimentation. En quoi la religion et la métaphysique se mettent elles en contradiction avec cette science ainsi comprise, toutes les fois qu’elles restent l’une et l’autre dans leur domaine propre en se gardant de confondre la question du comment et celle du pourquoi, la question des conditions d’existence avec celle de cause[1]. » Cette distinction, je l’ai formulée presque à satiété dans mon livre ; la discrétion seule m’empêche d’en fournir des preuves abondantes. Je n’ai cessé de soutenir que la seule chose à demander aux sciences de la nature c’était la connaissance des phénomènes et de leurs lois et que cette connaissance, aussi approfondie et complète qu’on la suppose, laisse en dehors de sa sphère toutes les questions d’origine, sous peine de fonder un nouveau dogmatisme hypothétique, ainsi que je l’entendais l’autre jour établir avec tant de puissance à Édimbourg par l’illustre Wirchow. On peut certainement discuter, contester ce point de vue, mais est-il permis de le passer sous silence pour statuer une contradiction entièrement gratuite ?

J’avoue que j’admets encore le principe de causalité et que les réfutations opposées récemment à la philosophie associationniste, dont je n’ai jamais contesté les fines analyses, comme j’en suis accusé, m’ont semblé décisives. J’ai essayé de l’établir en les résumant. Je demande pardon à M. Maurice Vernes d’admettre encore ce qui lui paraît un préjugé des

  1. Les origines, page 24.