Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
revue philosophique

La doctrine de la vérité et de l’erreur est au premier chef une doctrine métaphysique, et quiconque l’aborde doit se résigner à prendre partie Il en est de la doctrine du vrai comme de la doctrine du bien : elle ne peut pas rester indépendante de la métaphysique. La logique n’est pas plus indépendante que la morale.

L’auteur était donc obligé à se décider. I l’a fait dans le sens des plus illustres philosophes de sa nation, on ne saurait l’en blâmer, mais où il nous paraît se tromper complètement, c’est quand il croit avoir évité le scepticisme, même le scepticisme pratique. Le nombre des attaques justifie l’argument qui leur résiste, le nombre des expériences accroît la probabilité de l’événement futur. Ce sont là des propositions jumelles et qui se réfutent par le même raisonnement. Le nombre des attaques subies, le nombre des expériences réalisées sont des nombres déterminés, concrets ; au contraire, le nombre des attaques ou des expériences futures possibles est indéterminé, aussi grand qu’on le voudra, infini. Sans abuser de la formule , on peut bien dire que le rapport du nombre des cas favorables au nombre des cas possibles sera toujours infinitésimal et qu’une expérience de plus ou de moins, une attaque de plus ou de moins, n’augmenteront pas beaucoup nos chances de vérité. C’est pour cela que les gens avisés ne devront plus seulement croire que la science peut se tromper dans ses prévisions, mais qu’il y a plus de chances pour qu’elle ne se trompe pas ; ils devront surtout douter de ses prévisions et s’arranger de manière à n’être jamais pris sans vert. Quand ils ne seront pas absolument obligés de prendre un parti, ils douteront ; quand ils y seront obligés, leurs décisions seront sans doute en conformité avec les prévisions de la science : mais qui voudra désormais, sur la foi d’une science toujours faillible, exposer sa fortune ou même sa vie pour assurer la réussite d’une découverte ou d’une invention ? La pratique même est donc mise en péril, aussi bien que la théorie, par la doctrine de la vérité qui résulte de l’empirisme. Pour amener à la certitude, à la scientifique comme à la métaphysique, il faut donc — M. Lachelier l’a excellemment démontré dans sa thèse sur l’Induction — autre chose que l’expérience, il faut des données qui la dépassent et des principes qui la dominent, Alors seulement on est sûr que l’avenir ressemblera au passé, parce que l’avenir est réglé comme le passé, que les lois de l’un sont les lois de l’autre, et qu’elles sont établies par la même immobile et souveraine pensée.

Comme conclusion, nous répéterons ces deux aphorismes, qui paraîtront vieillots et qui n’ont pas cessé d’être vrais : « La logique de la vérité n’est pas indépendante de la métaphysique », et : « On ne fait pas au scepticisme sa part ; quand il est une fois entré dans l’entendement il l’envahit tout entier. »

G. Fonsegrive.