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un style alerte et clair, souvent avec chaleur, maïs toujours avec impartialité, l’histoire de cette grande revendication des droits de l’esprit humain. Un travail de ce genre n’est pas susceptible d’analyse : il n’est guère de passage qui ne soit nécessaire à l’intelligence de l’ensemble ; mais deux faits se dégagent de cette lecture attachante. C’est, d’abord que le succès momentané de la théorie fixitaire s’explique surtout par la différence des conditions imposées aux adversaires en présence. Aux partisans de la variabilité, on demande de prouver et d’expliquer ; et tant que les preuves ne sont point aveuglantes, tant que les explications ne sont point irréprochables, les fixitaires s’en tiennent à leur article de foi. Certes, les explications et les systèmes ne furent point toujours irréprochables. Bien des conceptions bizarres se firent jour ; bien des idées étranges vinrent déparer les plus remarquables théories, et ne firent que trop beau jeu aux partisans du dogme. Mais ceux-là ne se sont-ils jamais départis de la réserve qu’ils voulaient imposer à leurs adversaires ? Il suffit, pour s’en rendre compte, de lire le fameux Discours sur les révolutions du globe.

L’autre fait, plus important, auquel s’attache surtout M. Perrier, à la démonstration duquel il a contribué pour sa part, c’est que la seule méthode qui puisse réussir dans les sciences naturelles est celle qui a donné aux sciences physiques leur merveilleux essor. Procéder sans cesse de simple au composé, ne pas s’acharner à vouloir retrouver dans les êtres les plus inférieurs tous les éléments des plus complexes ; ne point partir de l’homme pour expliquer l’animal, mais, au contraire de l’animal, et du plus simple, pour tâcher d’en venir à expliquer l’homme ; voilà la seule marche à suivre, que l’on s’occupe de l’organisation des êtres vivants, des phénomènes qu’ils présentent, ou de la manière dont ils arrivent à se constituer. C’est pour ne s’en être pas rendu compte que tant d’hommes de premier ordre, et Geoffroy lui-même, ont vu paralyser leurs efforts.

L’insuccès de ces hautes intelligences a découragé bien des savants sincères qui, voyant les plus belles théories viciées, quelquefois par des cause minimes, mais que l’on n’arrivait pas à dégager, ont cru devoir s’interdire toute spéculation, pour s’en tenir aux faits. Ceux-là sont encore confirmés dans leur craintive prudence par l’exemple de ces rêveurs, qui n’ont jamais considéré la science que comme un thème offert aux variations de leur fantaisie. Ces tendances diverses subsistent toujours. Tandis que l’un se laisse entraîner par son imagination, et, ne pouvant plus négliger les faits, leur emprunte aussi peu que possible ; l’autre ne trouve jamais que la base soit assez solide pour édifier une théorie, et se borne à réunir des faits, comme un avare amasse de l’or, sans en permettre l’usage ni aux autres ni à soi-même. Il en est peu qui sachent tenir la balance entre ces deux tendances opposées, et se résolvent à construire tout en se disant que leur œuvre entier n’est peut-être pas éternel. Ceux-là sont dans le vrai ; car une théorie qui s’appuie sur des faits est toujours utile à la marche de la science. Des études