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ANALYSES.e. perrier. La philosophie zoologique.

et en réunir le plus possible ; comparer entre eux ces faits de toutes façons pour arriver à en déduire des lois : c’est là la seule vraie méthode scientifique, et c’est déjà celle d’Aristote. Toutes les branches de la biologie, qui sont devenues autant de sciences distinctes bien qu’étroitement unies, l’anatomie comparée, la physiologie, l’’embryogénie, l’étude des mœurs des animaux, de leur répartition géographique et de leurs rapports réciproques, Aristote a touché à tout. Malheureusement, les faits qui servaient de base à ses déductions n’étaient pas tous d’égale valeur. Il ne pouvait tout observer par lui-même, ni se dégager complètement des idées régnantes à son époque. Mais si les erreurs sont encore fréquentes dans son œuvre, que d’idées justes ne s’étonne-t-on pas d’y rencontrer ; que de théories modernes y sont contenues, au moins en germe, même la loi de division du travail physiologique, si bien mise en valeur par M. Milne Edwards, la lutte pour l’existence, et jusqu’à la variabilité des types ?

La période romaine, qui avait reçu l’héritage de la science grecque, ne nous offre pas un seul homme de la taille d’Aristote. Pline, dont on a si souvent mis l’Histoire naturelle à côté de l’Histoire des animaux, ne mérite point tant d’honneur. C’est, dans l’antiquité, le plus parfait représentant de l’école des faits. Il ne voit qu’eux, les recueille précieusement dans son énorme compilation, et par malheur sans trop s’enquérir d’où ils viennent. Toutes les fables de l’antiquité se retrouvent dans son œuvre. Bien autrement philosophique était l’esprit de Lucrèce. Certains passages de son poème prouvent qu’il eut au moins l’intuition de la lutte pour la vie, de l’extinction des espèces insuffisamment douées, et de la sélection naturelle qui en est la conséquence. Mais le grand poète était trop exclusivement philosophe. Ce n’était point un homme de science.

L’alliance de l’observation et du raisonnement, qui était si bien établie dans Aristote, ne se retrouve nettement dans toute la période romaine que chez un seul homme, Galien. Il est, pour le principe des conditions d’existence, pour les relations entre la forme extérieure et la structure interne d’un animal, le précurseur de Cuvier, finaliste comme lui ; et pourrait même passer pour celui de Geoffroy, quant au principe de l’unité de plan de composition.

Comme toutes les sciences, la zoologie demeura stationnaire pendant la longue nuit du moyen âge ; et, lorsque des jours moins sombres se levèrent pour l’intelligence humaine, ce n’est point à l’observation de la nature que l’on revint tout d’abord, mais à l’étude des anciens maîtres dont les Arabes avaient conservé les œuvres sans y ajouter beau-coup. Les esprits d’alors étaient rompus aux subtilités théologiques, et l’on transporta dans la science l’habitude d’ergoter sur des textes, sans jamais songer à contrôler les faits. Ce fut à cette époque que l’œuvre d’Aristote, mal comprise, exerça une influence fâcheuse sur la marche de l’esprit humain. L’astrologie et l’alchimie, que l’on avait également reçues des Arabes, ne faisaient qu’augmenter la confusion ; et l’on dé-