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ANALYSES.herbert spencer. Principes de sociologie.

mais qu’à l’histoire de la science. Est-ce à dire qu’on doive le négliger ? Loin de là. La génération spontanée, dans le sens où l’on entend ordinairement cette expression, n’existe pis plus pour les idées que pour les êtres vivants. L’évolution est à peu près la même pour les uns et les autres ; elle n’est point achevée, et le passé doit éclairer l’avenir.

Comme le dit très justement M. Perrier, les idées « naissent ordinairement humbles et cachées parmi les idées plus anciennes, grandissent plus ou moins confondues avec leurs aînées, au milieu desquelles il est souvent difficile de les distinguer, se différencient peu à peu, atteignent un certain degré de puissance, se transforment, et meurent après avoir engendré d’autres idées qui auront un sort semblable. »

Mais « la même destinée n’attend pas toutes celles qui appartiennent à une même famille ; les unes s’éteignent sans avoir joué aucun rôle, exercé aucune influence, provoqué aucun mouvement, d’autres, qui leur ressemblaient d’abord presque entièrement, deviennent pour un temps les grandes directrices de l’esprit humain. » Chacun, ajoute-t-il finement, « chacun croit alors les reconnaître, s’imagine les avoir vues toutes petites, et s’en avouerait volontiers le père. C’est pourquoi il est presque impossible d’écrire une histoire des idées que tout le monde s’accorde à déclarer impartiale ; c’est pourquoi tout homme qui croit apporter une idée neuve au trésor de l’humanité, se voit aussitôt accueilli par les réclamations d’une foule de soi-disant précurseurs, à qui il n’a manqué pour assurer le règne de leur pensée que le talent de la faire vivre. »

Il n’en était que plus nécessaire de trouver un homme qui, sans craindre les accusations de partialité, sans souci des récriminations et peut-être des colères, s’attachât à rechercher loyalement la part qui revient à chacun dans l’évolution de la science. Dresser la généalogie des idées maîtresses, chercher leurs traces premières jusque dans les brumes du passé le plus lointain, montrer comment peu à peu elles se développent et se transforment ; comment, du rapprochement de deux théories, fausses l’une et l’autre, bien que renfermant chacune une part de vérité, naît une autre théorie plus parfaite, destinée à se modifier à son tour ; tel est le programme que M. Perrier s’est efforcé de remplir pour la science zoologique. Dans quelle mesure il y a réussi, c’est ce que ne pourront bien apprécier que ceux qui liront son ouvrage ; car un travail de ce genre est bien difficile à analyser, étant lui-même le résumé d’une prodigieuse quantité de faits, d’un nombre considérable de théories et de systèmes. Mais je ne doute pas que le livre soit bientôt entre les mains des lecteurs de la Revue, Je me bornerai donc à le leur présenter, comme on leur présenta naguère les Colonies animales du même auteur…, un peu différemment peut-être ; car, dans l’ensemble actuel des théories évolutionnistes, il y a bien une part qui revient en propre à M. Perrier ; et ses idées n’ont pas échappé à la loi commune : plus d’un « s’en avouerait volontiers le père ».

Le commencement du livre est consacré aux idées premières sur la