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ni vers la gauche. Peut-être conviendraitil de distinguer entre les corps et d’attribuer l’inertie aux seuls êtres inorganiques. En outre, et si l’on veut bien se souvenir qu’il est plusieurs sortes de mouvements, la loi d’inertie s’appliquerait au mouvement des masses et nullement aux mouvements moléculaires ou atomiques. Au bout d’un certain temps, la résistance du milieu arrête le mobile dans sa course. Mais rien n’arrête l’oscillation, pour nous invisible, des molécules autour de leur position d’équilibre. À l’intérieur du corps, ramené av repos, une foule de mouvements imperceptibles continuent d’exister. Il serait toutefois contraire au principe de la conservation de la force d’affranchir ces mouvements moléculaires de toute dépendance à l’égard des mouvements de la masse ; aussi bien, qu’est-ce que la masse d’un corps, sinon la somme de ses éléments atomiques ? Quelque biais que l’on prenne, il faut se résigner à n’en plus croire ses yeux. Le repos de la matière est une illusion de la sensibilité. La loi d’inertie préside aux modifications du mouvement, et, cela de concert avec la loi de la persistance de la force. La quantité de mouvement doit rester inaltérable ; le mouvement peut se déplacer, se concentrer ici, plus loin, se dissiper, mais de façon à compenser un gain par une perte correspondante. La loi d’inertie est dans son essence une loi de mouvement. Si elle emprunte son autorité à la loi de la conservation de force, elle doit régner partout dans l’univers, même ailleurs que dans le monde inorganique. La loi d’inertie exige qu’il ne se crée de mouvement nulle part ; sans doute dans l’avenir il ne s’en créera point ; sans doute aussi dans le passé la somme d’énergie motrice est restée constante. L’hypothèse d’un temps où la matière était inerte, au sens littéral du mot, n’est certes pas inadmissible, mais seulement à titre d’hypothèse métaphysique. Des atomes en sommeil, au sein de l’espace sans bornes ; puis l’appel de Dieu, puis l’impulsion de sa main toute-puissante, puis l’ordre du monde : voilà certes une ébauche de cosmogonie dont la conception peut séduire. Serait-ce ainsi que M. Naville entend se représenter les premiers moments de la création ? S’il plaît à l’imagination du chrétien de s’enchanter d’un beau rêve, pourquoi ce rêve, où il a cru entrevoir les plans de l’architecture divine, s’imposerait-il à la science ? La science ne sait point tout, et si notre univers adulte a encore des secrets pour elle, ne l’embarrassons point d’un univers à sa naissance. En dépit des formules directrices de la science contemporaine, on est dans l’illusion quand on leur donne la moindre portée cosmogonique. Laplace n’a-t-il pas déclaré en propres termes que la loi d’inertie ne se démontrait pas, qu’elle était une hypothèse, la plus simple de toutes, qu’elle ne préjugeait rien, ni de l’essence, ni de la constitution de la matière ? On peut donc, sans enfreindre la loi en question, soutenir avec M. Moleschott « qu’un des caractères généraux de la matière est de pouvoir, dans des circonstances propices, se mettre d’elle-même en mouvement. » Parler ainsi, c’est parler en matérialiste et s’exposer, tel est du moins notre sentiment, à des