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SPENCER. — passé et avenir de la religion

et si nous comparons cette idée avec celle qui est contenue dans les dialogues de Platon, nous voyons que la civilisation grecque a beaucoup modifié (du moins parmi les hommes cultivés) la conception purement anthropomorphique de ce Dieu ; les attributs humains inférieurs sont tombés et les attributs supérieurs sont transfigurés. De même si nous mettons le Dieu hébraïque, tel qu’il est décrit dans les traditions primitives avec sa forme, ses émotions et ses appétits humains, en regard du Dieu hébraïque tel qu’il est caractérisé par les prophètes, on voit sa puissance s’étendre et sa nature s’éloigner toujours davantage de celle de l’homme. Et si nous passons à l’idée que l’on se fait maintenant de ce Dieu, nous remarquons une immense transfiguration. Grâce à un oubli commode, une divinité, qui, dans les premiers temps, est représentée comme endurcissant les cœurs des hommes de façon qu’ils commettent des actes punissables, et comme employant un esprit de mensonge pour les tromper, arrive à être regardée comme la personnification de vertus qui surpassent les plus grandes que l’on puisse imaginer.

Ainsi en reconnaissant le fait que dans l’esprit des hommes primitifs il n’existe ni idée religieuse ni sentiments religieux, nous trouvons que l’évolution sociale et l’évolution intellectuelle concomitante amènent les idées et les sentiments que nous appelons religions, et que des séries de causes, dont les traces sont parfaitement visibles, les font arriver progressivement à l’état où nous les voyons à présent parmi les races cultivées.

Et maintenant quelle sera, d’après ce que nous venons d’exposer, l’évolution future des idées et des sentiments religieux ? D’une part il est contraire à la raison de supposer que les changements, qui ont donné à la conscience religieuse sa forme actuelle, cessent subitement. D’autre part il est contraire à la raison de supposer que la conscience religieuse, qui est, comme nous l’avons vu, un produit de notre nature, disparaisse et laisse un vide complet. Évidemment elle subira des changements ultérieurs, mais, quels que soient ces changements, elle continuera nécessairement d’exister. À quelles transformations devons-nous donc nous attendre ? Nous trouverons une réponse à cette question si nous réduisons le processus que nous avons décrit plus haut à sa plus simple expression.

Comme il a été dit dans les Premiers Principes § 96, le cours de l’évolution est ordinairement modifié par cette dissolution qui quelquefois l’arrête complètement, les changements qui deviennent manifestes n’étant habituellement que des résultats différentiels de tendances contraires vers l’intégration et la désintégration. Pour bien comprendre la genèse et la décadence des systèmes religieux ainsi