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pédérastes, les saphistes, etc., qui pour lui sont des « candidats à la folie », sinon de véritables aliénés. Il y aurait ici des distinctions utiles à faire. Car il existe des pédérastes et des tribades de différentes sortes. Abstraction faite des individus qui s’adonnent à ces vices sous l’empire d’une affection cérébrale bien déterminée, ne convient-il pas de remarquer l’influence des habitudes de volupté ? Chez l’homme dont les sensations génitales sont vives et qui a accoutumé de les satisfaire, l’esprit s’éveille peu à peu à des idées de lubricité et ne trouve plus répugnant de les laisser arriver à l’acte. Mais le coït naturel n’est pas délaissé pour cela. C’est de cette façon sans doute que certains des anciens Grecs qui se livraient à la pédérastie avaient néanmoins commerce avec des femmes. Tardieu a d’ailleurs rapporté quelques faits de violences sodomiques auxquelles des maris s’étaient pendant plusieurs années livrés sur leurs femmes, tout en continuant les rapprochements réguliers[1]. À la vérité, ces cas ne consistent d’abord qu’en une recherche de sensations nouvelles. Mais une habitude se prend, et sous son empire se forme un état mental qui réagit sur toute la constitution psychique, puis sur la fonction physiologique. Tel est le cas cité par Tardieu, où l’on voit un homme de position élevée en venir à attirer chez lui « de sordides enfants des rues ». On a alors affaire au vrai pédéraste, qui est sans doute un aliéné ou tout au moins, suivant l’expression de Lasègue, un cérébral. Toute la question est donc de savoir si le sujet qui présente cette monstruosité (dans le sens étymologique du mot, bien entendu, puisqu’il ne s’agit pas ici de juger ces actes) la présente parce qu’il est un « cérébral », ou s’il est devenu un « cérébral » parce qu’il a pris cette habitude. Les médecins semblent avoir aujourd’hui tendance à admettre que tout pédéraste est quasi un fou. Mais ne convient-il pas de maintenir la distinction entre ce que l’on pourrait appeler les pédérastes d’em-

  1. Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, 7e édit., Paris, 1818, observat. III, p. 257 ; id., observat. IV.

    Au moment même où ces pages étaient sous presse, il paraissait (novembre 1883) un livre du savant médecin de Lourcine, M. Martineau, sur les Déformations vulvaires el anales. Je vois dans cette étude quelques observations de tribadisme qui corroborent celles de Tardieu, rapportées ci-dessus, et qui confirment l’explication que j’essaye de donner de ces faits. Je relaterai particulièrement le cas de cette jeune fille qui, mariée, continue à avoir un commerce honteux avec une de ses amies et en vient même à l’introduire à demeure dans le domicile conjugal, forçant son mari à accepter cette situation. Ces faits de Tardieu et de Martineau sont des exemples de ce que j’appellerais l’hermaphrodisme moral. Dans ces cas, la constitution anatomique normale exerce toujours son influence ; mais, en même temps, les sentiments qui correspondent à la fonction génitale étant pervertis, la fonction est déviée. Que ces sentiments soient plus profondément atteints, et on a les pédérastes et les tribades absolus, qui le sont sans intermittence.