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plus tard on ne peut plus ni le voir ni l’entendre. Simultanément avec cette différenciation des attributs physiques de ceux de l’humanité, il se produit, mais plus lentement, une différenciation des attributs intellectuels. Le dieu du sauvage, qui est représenté comme ayant une intelligence à peine supérieure à celle de l’homme vivant, est facilement trompé. Même les dieux des peuples demi-civilisés sont trompés, commettent des erreurs, se repentent de leurs projets ; et c’est seulement avec le temps que naît la conception d’une vision sans bornes et d’une science universelle. La nature émotionnelle subit en même temps une transformation parallèle. Les passions grossières, très fortes à l’origine, et que les dévots satisfont avec soin, disparaissent peu à peu, laissant seulement les passions supérieures aux satisfactions corporelles ; et bien souvent ces dernières aussi perdent leur caractère humain.

Ces caractères supposés des divinités s’adaptent et se réadaptent continuellement aux besoins de l’état social. Pendant la phase militante de l’activité, le dieu principal est conçu comme tenant l’insubordination pour le plus grand des crimes, comme implacable dans sa colère, comme impitoyable dans ses punitions ; et tous les attributs indiquant quelque mansuétude n’occupent que peu de place dans la conscience sociale. Mais quand l’état militaire décline, et que la rude forme du despotisme qui est en conformité avec cet état est graduellement mitigée par la forme appropriée à l’industrialisme, la conscience religieuse est surtout pleine des attributs de la nature divine conformes à une morale reposant sur les sentiments de paix : l’amour divin, la clémence divine, la miséricorde divine, voilà les attributs sur lesquels on insiste alors.

Pour apercevoir clairement les effets du développement mental et des changements sociaux, dont nous venons de parler d’une façon abstraite, il faut les voir tels qu’ils sont dans la réalité. Si nous examinons sans parti pris les traditions, les annales et les monuments des Égyptiens, nous voyons que de leur conception primitive des dieux, hommes ou animaux, est sortie peu à peu la conception spiritualisée des dieux et enfin d’un dieu. Un peu plus tard les prêtres, répudiant les idées immédiatement antérieures, les représentaient comme des erreurs ; ils étaient dominés par ce penchant universel à regarder l’état primitif comme l’état le plus élevé — penchant dont on peut encore remarquer les traces chez quelques théologiens et mythologues de nos jours. D’autre part, si, mettant de côté les questions théoriques, celle de savoir par exemple quelle peut être la valeur historique de l’Iliade, nous prenons ce poème simplement comme une indication de l’idée que les Grecs primitifs se faisaient de Zeus,