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d’idées s’établissent d’une façon toute mécanique. Le fait le plus banal, la circonstance la plus futile s’empare de l’esprit et, remplissant toute la scène, détermine la conduite à un moment donné. Cela est particulièrement vrai des impulsifs : un dipsomane, par exemple, vide toute bouteille qu’il voit, qu’elle contienne du vin, de l’eau-de-vie ou du pétrole, parce qu’il faut qu’il boive. Aussi voit-on se former très rapidement chez les fous un état mental qui, une fois constitué, parce qu’ils peuvent rarement critiquer leurs pensées et leurs actes, prend la plus grande importance ; et les actions s’y conforment, quelquefois avec une logique qui paraît étrange au vulgaire. C’est ainsi que chez les épileptiques, l’automatisme de l’acte commis est souvent en rapport avec l’état mental existant au moment de l’ictus psycho-épileptique, et l’acte continue simplement la préoccupation de cet instant. Qu’on réfléchisse maintenant à la diversité et à la multiplicité des causes qui peuvent provoquer l’instinct sexuel, et on ne s’étonnera plus des nombreux actes de folie où cet instinct se trouve en jeu ni des formes plus ou moins insolites de ces actes.

L’étalage génital ne constitue donc pas une maladie spéciale, ce n’est qu’un épisode de différentes maladies. Considère-t-on les autres impulsifs comme des monomanes ? Essaye-t-on par exemple de faire de la tendance au vol ou kleptomanie un délire partiel ? On risquerait de tomber dans le ridicule, puisque dans cette monomanie même il faudrait créer des sous-espèces, comme le montre une observation de M. Lunier où il s’agit d’une hystérique qui volait exclusivement des cuillers ; on pourrait donc ironiquement distinguer la cochléaromanie (voy. les Annales médico-psychol., septembre 1880).

Ce qui prouve bien l’influence de causes diverses et indéterminées sur le développement des perversions sexuelles, c’est la variété presque infinie des formes que peuvent prendre ces perversions. On va le voir par quelques observations fort curieuses des docteurs Charcot et Magnan où il s’agit encore d’impulsions irrésistibles[1].

Dans quatre cas rapportés d’une façon très circonstanciée par les auteurs, l’obsession a pour objet la région fessière des femmes habillées et l’anus des petits garçons habillés, ou les clous de souliers de femmes, ou les bonnets de nuit, ou les tabliers blancs. L’histoire de ces malades offre beaucoup de ressemblance : chez tous il y a un état névro ou psychopathique des plus profonds, car « il faut des terrains de choix (prédisposition héréditaire, dégénérescence) pour que pareille floraison puisse se produire. » (P. 38 de la brochure.) Or, l’ori-

  1. Voy. Arch. de neurol., no 12, 1882, et la brochure extraite, Paris, 1883.