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connaissance avec la métaphysique lorsqu’il a cru que le rapport de la représentation à l’objet n’était que l’unité nécessaire de la conscience ou l’unité synthétique de l’aperception ; il a préparé ainsi le phénoménalisme ou l’idéalisme de quelques-uns de ses disciples.

En opposition aux tentatives de ces derniers, les empiriques ont essayé de construire sur un fondement concret la théorie de la connaissance. On oppose l’empirisme et l’apriorisme, mais ces deux termes ne désignent nullement deux théories radicalement opposées ; un aprioriste comme Kant peut ne pas s’écarter beaucoup de l’empirisme ; un empiriste comme A. Spir peut être placé à côté de Berkeley. Ce qui distingue réellement les diverses théories, c’est l’importance qu’elles accordent à notre imagination et à notre pensée. La question qui nous occupe peut donc être posée de la manière suivante : qu’est-ce qui garantit à notre connaissance un rapport réel à quelque chose qui ne dépend pas de nous ? Elle se décompose en deux parties distinctes : d’où faut-il dériver les « formes  » universelles et nécessaires ? Et par où ont-elles un rapport réellement matériel à l’objet ? Les réponses de Leibnitz, des idéalistes subjectivistes ou des phénoménalistes sceptiques de Kant et de Wundt doivent être rejetées. Il ne reste plus, comme principe d’explication, que la sensation primitive ; mais peut-elle être un fondement suffisant de toute notre connaissance ? Non, si l’on veut, comme Condillac, faire sortir l’attention de la comparaison de plusieurs sensations, le souvenir, des traces qu’elles laissent après elle ; car l’activité psychique n’est pas alors dérivée de la sensation, elle ne fait que commencer quand la sensation apparaît. Mais qu’est-ce que la sensation ? C’est la conscience d’un changement qu’on ne saurait se représenter sans degré et sans spécification, par cela même elle exprime le rapport du sujet à l’objet extérieur qui a fait impression sur lui. Ce n’est pas tout. La sensation particulière cesse ; représentons-nous le moment suivant dans lequel nous n’éprouvons aucune sensation. Il nous reste un souvenir dans lequel nous trouvons un double rapport, d’un côté à la situation passée, de l’autre à ce qui a été connu dans l’état précédent ; dans la sensation, le rapport à l’objet est complètement indéterminé. Dans le souvenir, qu’on pourrait nommer la première représentation, nous avons une spécification déterminée de l’objet. En réalité une sensation est remplacée par une autre sensation qui s’unit à elle ; celle-ci par une autre ; l’ordre s’introduit dans les rapports opposés, le monde s’étend dans le temps et l’espace et forme cet univers que nous sommes habitués à considerer avec étonnement.

Dans la sensation, nous trouverons les germes de concepts plus élevés : nous avons appris à connaître le rapport concret d’un mot à certains cas particuliers, nous nous rappelons en entendant ce mot, non les cas particuliers, mais les rapports qu’il a avec eux. Tous ces rapports ont leur source dans le souvenir. Toul ce qui est reproduit dans plusieurs sensations devient l’objet d’un rapport séparé ; peu à peu, par l’introduction des intermédiaires se produit une image nettement limi-