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qui commande l’assentiment comme fait une démonstration scientifique, et la loi logique reste une condition première, que le penser de l’homme soit ou ne soit pas identique au penser de l’univers (§ 10).

Dans l’esthétique, le sentiment du beau ne garde plus rien de l’instinct, et c’est l’espérance de l’idéal qui poétise et anime l’œuvre d’art (§ 11).

La vraie histoire de l’humanité a commencé en ce siècle, grâce aux continuels rapports internationaux. Les aptitudes de l’homme ne changent pas ; seules changent ses idées, ses opinions, qui se réalisent en des formes politiques différentes. La critique des idées appartient à la philosophie de l’histoire : et l’auteur consacre la longue scholie du § 17 à une critique intéressante des idées de la Révolution française. Mais ceci n’est pas, on le voit, de la sociologie à la manière de Schäffle.

La raison de l’homme, il faut bien en convenir, a gagné en puissance théorique (Verstand) plus qu’en justesse pratique (Vernunft). A peine un désir est apaisé, qu’un nouveau désir succède ; ce n’est point un mal, car cela entre dans le plan de la téléologie universelle. Faire constamment effort vers la science, vers, la perfection, la philosophie pratique est toute là, et la colombe de Kant se flattait en vain de voler plus librement sans la résistance de l’air. Pessimisme et optimisme sont des expressions exagérées ; tout au plus pourrait-on dire « bonisme » et « malisme ». Qui veut être heureux doit se faire une bonne conscience, se bâtir un monde intérieur. L’essentiel est qu’il y a progrès, et que l’instinct brutal perd de son empire à mesure que la raison agrandit le sien (§ 18).

Il n’y a pas lieu de nous étendre davantage sur ces diverses parties, et je signalerai seulement pour mémoire la scholie du § 6 dirigée contre l’idéalisme de Kant, les § 13, 14 et 16 qui ont trait, soit à l’histoire de la philosophie, soit au monisme matérialiste. L’auteur élève Leibniz, tout en blâmant sa tendance trop théosophique, et il abaisse Hume, qui à égaré Kant ; le mérite d’Herbart, à son avis, est d’avoir restauré l’âme humaine, sa faute a été de passer par des degrés à l’âme animale. Je ne vais pas plus loin dans ces jugements, qui sont prévus. J’en veux rester à la thèse fondamentale du livre. On a pu s’assurer déjà que l’auteur n’y puise pas les moyens de régénérer efficacement les sciences de la nature ou celles de l’esprit, et, en dépit de son vaste savoir, il n’échappe point, à mon humble avis, à cette critique sévère que le Dr K. Kroman, de Copenhague, adressait récemment aux finalistes en un remarquable ouvrage[1]. « S’il est permis, écrit le Dr Kroman, dont j’essaye de résumer la pensée, de se servir des mots — finalité, harmonie, et de dire que les choses se passent comme si une volonté pareille à la nôtre avait ordonné le monde, on peut observer que la moins naturelle explication des faits sur lesquels se fonde la finalité a été donnée d’abord par les philosophes finalistes, et que ceux-ci, dès qu’ils prétendent renoncer à l’intervention d’agents surnaturels, ne

  1. Sur cet ouvrage voir la Revue d’avril dernier, p. 429.