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ANALYSES.richet. L’homme et l’intelligence.

et de toutes les expériences instituées sur les somnambules que l’activité réflexe est augmentée chez eux et que les centres modérateurs sont comme engourdis. Psychologiquement, le pouvoir de la volonté est suspendu et le lien entre la volonté et l’intelligence est brisé. L’intelligence subsiste tout entière, ainsi que le prouve la facilité avec laquelle les hallucinations se produisent et les associations d’idées s’établissent sous l’influence de la plus faible suggestion. Mais c’est la réaction volontaire, c’est l’attention qui a disparu. De sorte qu’on est conduit à admettre à côté de l’automatisme somatique un automatisme psychique.

Qu’il y ait dans la couche corticale du cerveau des actions moléculaires qui peuvent résulter d’excitations absolument internes, de la réaction des éléments anatomiques les uns sur les autres, et qui causent ou conditionnent l’attention, la volonté, cela ne semble pas douteux. Et c’est encore la conclusion qui vient, non seulement des recherches de M. Richet sur le somnambulisme, mais aussi de son très intéressant travail sur les poisons de l’intelligence (p. 85 à 149). M. Richet a étudié sous ce titre l’action psychique de l’alcool, du chloroforme, du hachich, de l’opium ; et il appelle ainsi ces substances parce qu’elles agissent sur l’intelligence, non pas d’une façon exclusive, mais d’une façon prédominante, c’est-à-dire en troublant d’abord les fonctions du cerveau. Tout en distinguant, comme il y a lieu de le faire, les effets psychiques différents des poisons divers qu’il a étudiés, M. Richet remarque qu’au fond de ces effets on reconnaît une action commune, c’est la paralysie des facultés volontaires et conscientes. « La conception des idées, alors que leur direction est altérée ou détruite, suit ses lois habituelles l’association des idées a toujours lieu, la chaîne continue qui relie la première de nos conceptions à la dernière, sans qu’il y ait d’interruption, n’est pas brisée par le poison. Les sensations extérieures nous parviennent encore, et chacune d’elles éveille une longue série de conceptions » (p. 117). Mais le moi qui juge, rectifie et dirige, ce qu’on appelle la volonté, ce qui est aussi l’attention, a disparu. Voilà pourquoi l’individu qui a pris du hachich[1] est comme une femme hystérique : sa volonté est impuissante. Aussi M. Richet établit-il un rapprochement instructif entre les trois états de rêve, de folie et d’intoxication par le hachich. C’est qu’en définitive le système nerveux ne peut pas réagir de mille manières différentes. À un empoisonnement quelconque l’encéphale ne peut répondre que d’une façon qui doit être toujours à peu près la même. C’est pourquoi les délires se ressemblent tous plus ou moins. Qu’on ait absorbé quelqu’un des poisons de l’intelligence ou que le cerveau soit naturellement sujet à des troubles fonctionnels,

  1. Il convient de signaler particulièrement le travail de M. Richet sur le hachich. C’est une substance difficile à étudier et dont les effets sont encore incomplètement connus. Les expériences que l’auteur a pu faire sont aussi instructives que bien conduites, et les réflexions psychologiques qu’il en tire sont fort intéressantes (voy. pp. 121-135, et à l’appendice, pp. 491-495).