Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
651
MANOUVRIER. — la fonction psycho-motrice

n’exerce que peu ou pas d’effet appréciable sur la station ou la locomotion. Chez l’homme, au contraire, et chez le singe, « où l’automatisme ne joue qu’un rôle subordonné dans les activités motrices, la destruction des centres moteurs de l’écorce cause une paralysie complète. » C’est-à-dire que chez les vertébrés les plus élevés, la fonction motrice des centres spinaux et encéphaliques inférieurs semble passer aux hémisphères, comme si cette fonction se rattachait de plus en plus à la fonction psychique. Cette substitution physiologique du cerveau aux centres nerveux inférieurs est si réelle qu’elle s’accompagne d’une véritable substitution anatomique. On sait, en effet, que le poids de la moelle, tout en diminuant par rapport à l’encéphale, s’accroît proportionnellement au poids du corps à mesure que l’on considère des vertébrés d’un ordre plus élevé. Le professeur Sappey[1] rattache avec raison ce fait au développement des forces musculaires et au perfectionnement de la sensibilité. Or, nous avons remarqué, en étudiant les pesées faites par divers auteurs, que le poids de la moelle, loin d’être plus élevé chez l’homme que chez les autres mammifères, est au contraire beaucoup plus faible, comparativement au poids du corps. Ainsi, la moelle épinière de l’homme est proportionnellement plus petite que celle du chat, du chien, du cheval. Et cependant toutes les fonctions de nutrition et de locomotion sont loin d’être moins développées chez l’homme. Il faut donc que ces fonctions soient devenues partiellement dépendantes des centres nerveux encéphaliques, plus qu’elles ne l’étaient chez les animaux cités. Or, le volume de ces centres, du cervelet en particulier, et surtout du cerveau, s’est considérablement accru par rapport au volume de la moelle qui, loin de s’accroître, a dû au contraire diminuer. Ainsi, la substitution partielle, anatomique et physiologique, du cerveau et du cervelet à la moelle est une preuve frappante de l’accroissement de subordination de l’ensemble de l’organisme à l’organe de la pensée. Comme nous nous sommes efforcés de le montrer dans ce travail, le perfectionnement du système nerveux, effet et cause du progrès zoologique, consiste dans la centralisation de plus en plus grande des courants nerveux produits dans tout l’organisme, en vue de leur utilisation plus économique et plus intelligente. C’est ainsi que, la fonction motrice étant intimement liée à la fonction intellectuelle, l’intelligence contribue elle-même à son propre accroissement par la réaction qu’elle exerce sur toutes les parties du corps en raison des services que peuvent lui rendre celles-ci. La fonction du cerveau, en un mot, est bien une fonction psycho-motrice. Mens agitat molem.

L. Manouvrier.

  1. Sappey, Anatomie descriptive, t.  III, p. 151.