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quarante ans plus tard, est en droit de reconnaître l’aphasie motrice, la cécité verbale, etc. Mais de ce qu’un greffier de procureur a décrit il y a deux siècles les contorsions d’une convulsionnaire, et de ce que nous y retrouvons les épisodes aujourd’hui classiques de l’attaque d’hystérie, allons-nous dire qu’il a connu et décrit l’hystéro-épilepsie ? Nous reconnaissons seulement qu’il a dressé un bon procès-verbal d’après nature. Lordat n’a pas fait plus ; il a si peu distingué les différents troubles du langage dont il souffrait qu’il n’a point jugé à propos de leur donner un nom et que sa distinction n’a été comprise par M. Grasset qu’après les travaux de Kussmaul[1], de Wernicke[2], etc.

Le hasard peut faire découvrir des paillettes d’or dans un alluvion, mais tout n’est pas dit ; il reste à dégager le précieux métal et à le présenter à l’état de pureté : telle a été l’œuvre de Broca pour l’aphasie motrice ; telle a été l’œuvre de MM. Wernicke et Kussmaul pour la cécité et la surdité verbales ; telle a été l’œuvre de M. Charcot[3], qui a montré avec sa clarté habituelle les rapports réciproques des troubles de l’expression.

Ainsi le premier trouble de l’usage des signes qui ait frappé l’attention est la perte du langage articulé ; c’est en effet celui dont l’observation parait, au premier abord du moins, le plus simple. On lui appliqua tout d’abord la dénomination d’aphasie. Peu à peu, à mesure que l’on connut mieux, non seulement les troubles de l’expression par les signes articulés ou écrits, mais encore les troubles de perception des signes vocaux ou graphiques, le terme d’aphasie devient plus vague ; et aujourd’hui, on en est venu à l’appliquer à tous les troubles actifs ou passifs de l’usage des signes. Nous avons préféré, avons-nous dit, revenir au sens primitif, et réserver cette désignation aux troubles de l’articulation des mots, à l’aphasie de Broca.

L’aphasie ainsi comprise peut se présenter à des degrés très divers. Il est rare qu’elle soit complète, que le mutisme soit absolu, ou que le malade en soit réduit à un grognement inarticulé ; le plus souvent elle est incomplète. Voici d’ailleurs comment les choses se passent en général : un malade, souvent paralysé du côté droit, mais n’offrant aucun trouble du mouvement des lèvres ou de la langue, se présente avec une physionomie intelligente, marquant l’intérêt qu’il prend à tout ce qui se dit ou se fait autour de lui. S’il est capa-

  1. Kussmaul. Les troubles de la parole, trad. franc., 1884.
  2. Wernicke. Der aphasische Symptomencomplex, Breslau, 1874.
  3. Charcot. Des variétés de l’aphasie (Progrès médical, 1883-84).