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gardée comme une preuve qu’il est décidément mort, montre que ces premiers agents surnaturels n’ont qu’une existence temporaire ; les premières tendances vers une conscience permanente du surnaturel ont avorté.

Dans beaucoup de cas aucun degré plus élevé de différenciation n’a été atteint. La population des esprits, d’une part recrutée par la mort, mais perdant d’autre part ses membres à mesure qu’on cesse de se les rappeler ou d’en rêver, n’augmente pas ; et aucun individu, qui en fait partie, n’arrive à être reconnu à travers plusieurs générations successives comme un pouvoir surnaturel établi. Ainsi l’Unkulunkulu, ou le très vieux, des Zoulous, le père de la race, est regardé comme étant décidément ou complètement mort ; et on cherche seulement à se rendre propices des esprits d’une date plus récente. Mais là où les circonstances favorisent la continuation des sacrifices sur les tombes, là où des membres de chaque nouvelle génération assistent à ces sacrifices, entendent parler des morts et perpétuent la tradition, là se produit éventuellement la conception d’un esprit existant en permanence. Ainsi s’établit dans les idées un contraste plus marqué entre les êtres surnaturels et les êtres naturels. En même temps le nombre de ces êtres surnaturels supposés augmente beaucoup, puisque maintenant il s’en ajoute continuellement de nouveaux ; et la tendance à se les représenter comme errant partout à l’entour et causant tous les événements extraordinaires, se fortifie toujours.

Bientôt surgissent des différences entre les pouvoirs attribués aux esprits. Elles découlent naturellement des différences que l’on observe entre les pouvoirs des individus vivants. De là il arrive que si les descendants des esprits ordinaires cherchent seuls à se les rendre favorables, on vient quelquefois à penser qu’il est prudent de se rendre également favorables les esprits des individus les plus redoutés, même quand il n’y a pas de liens du sang. C’est ainsi que se produisent ces degrés d’êtres surnaturels qui finissent par être si fortement marqués.

Les guerres habituelles, qui plus que toutes les autres causes, donnent naissance à ces premières différenciations, en font naître d’autres encore plus remarquables. En effet, les guerres amenant le groupement de petits groupes sociaux en de plus grands ainsi que le regroupement de ces derniers en de plus grands encore, et d nombreuses gradations de pouvoir s’établissant alors parmi les hommes vivants, on arrive naturellement à multiplier les gradations de pouvoir parmi leurs esprits. C’est ainsi qu’avec le temps se forment les conceptions des grands esprits ou des dieux, des esprits