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ANALYSES.liebmann. Gedanken und Thatsachen.

A-t-il été atteint ? L’énergie des efforts tentés dans toutes les directions porterait à le croire, De la physique des pondérables, la théorie a été étendue à la physique des impondérables. L’acoustique, la première, s’est prêtée de bonne grâce aux premières tentatives, L’optique a suivi l’exemple ; puis la thermodynamique. C’est actuellement le tour de l’électricité. Dans leur voie propre, la chimie et la physiologie ont suivi la même orientation intellectuelle : le vitalisme est depuis quarante ans en butte à une déconsidération progressive. Est-ce donc que, sur ces divers points, l’explication mécanique ait fait et puisse faire une clarté complète, résolve toutes les énigmes de la nature ? Il appartient à l’avenir de décider ; mais M. Liebmann, pour sa part, ne le croit pas. Supposé d’ailleurs tout événement réduit « sans reste » au simple mouvement, la mécanique se trouverait bien ainsi ramenée à la phoronomie ; mais celle-ci n’implique-t-elle pas toujours des concepts hypothétiques, ceux de masse, de force accélératrice, d’énergie cinétique et potentielle ? Ces concepts auraient besoin d’une justification philosophique, et celle-ci, qui leur a manqué dans le passé, leur fait défaut aujourd’hui encore. Hypothèses indispensables, hypothèses simples et commodes, soit ; mais hypothèses. Le principe de causalité lui-même, écrit Liebmann, est-il autre chose qu’une indémontrée et indémontrable hypothèse ?

Il y a donc des concepts constructifs et des postulats de la science, sans lesquels la science ne serait pas. « Toutefois il résulte des considérations précédentes que notre mécanique galiléo-newlonienne, construite dans le cadre d’un espace absolu, n’est peut-être pas, comme On le croit d’ordinaire, une étiologie de l’absolument réel, mais une simple sémiotique du réel et des symptômes que l’homme en peut atteindre. »

De toutes parts, la métaphysique enveloppe la science. Ce qui ne veut pas dire que le philosophe doive, une fois de plus, échafauder de merveilleux systèmes dans le fol espoir d’achever la connaissance. M. Liebmann ne croit plus à la vertu explicative de ces inventions ; il s’en tient, en métaphysique, à une sorte de probabilisme. « Y a-t-il objectivement, dans les phénomènes ou dans le sous-sol métaphysique, quelque chose d’analogue aux desseins intentionnels de l’homme, à ses plans, à ses fins, à ses actions combinées en vue d’un but à atteindre 9 Nous ne pouvons le savoir, et ce problème reste affaire d’opinion. Ce qui est incontestable pourtant, c’est que nous hommes, en raison de l’organisation spécifique de notre intelligence, nous nous trouvons forcés d’envisager une bonne partie des phénomènes de ce monde comme éminemment adaptés à des fins. En dehors, à côté ou au-dessus de ces forces physiques (causæ efficientes), dont le déploiement est aveugle, étranger à tout dessein, y a-t-il des causes finales, spéciales ? C’est ici que commence entre les écoles une controverse toujours possible, interminable. Mais qu’il y ait dans la «  nature naturée » une finalité indépendante de l’homme, infiniment supérieure à l’industrie humaine, personne ne le conteste. Les causes finales jouent dans un grand nombre de systèmes métaphysiques le rôle d’aides et de supports officieux, sortis de la cer-