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ANALYSES.baudrillart. Économie politique.

une sage et utile mesure, l’esprit de famille à l’esprit de prévoyance et d’épargne, sans imposer aux fortunes une immobilité contraire à la juste responsabilité des individus. Les abus qui servent encore de prétexte aux attaques contre la propriété sont imputables aux propriétaires plutôt qu’à l’institution elle-même. Le progrès légal ne peut rien contre cette sorte d’abus, mais ils portent leur châtiment en eux-mêmes, dans leurs conséquences inévitables, et il faut ranger parmi ces conséquences l’hostilité qu’ils entretiennent parmi les moins favorisés de la fortune. La moralité, sous toutes ses formes, est donc l’intérêt suprême de la propriété et cet intérêt se recommande également à la prudence des individus et à la sagesse du législateur.

Il serait vain de compter sur In, sagesse du législateur, comme sur la prudence des individus, pour conjurer toutes les causes physiques ou morales qui peuvent développer, hors de ses justes bornes, l’inégalité des fortunes et le contraste aussi redoutable que douloureux de l’extrême richesse et de l’extrême misère. De là la nécessité de l’assistance, sous la double forme de la charité privée et de la bienfaisance publique. C’est la seconde question que nous nous proposons de traiter, d’après M. Baudrillart.

Les économistes ont souvent signalé le danger d’une assistance qui est un encouragement à l’imprévoyance et à la paresse et qui ne fait qu’entretenir, quand elle ne les accroît pas, les maux qu’elle a la prétention de guérir. M. Baudrillart n’hésite pas à reconnaître, dans une très large mesure, la réalité de ce danger. Une assistance mal entendue est la plus excusable des fautes chez les particuliers, dont elle honore le bon cœur si elle accuse leur imprudence, mais elle n’est pas moins une faute de la part de l’État, qui n’a pas le droit de céder aux entraînements d’une sensibilité capricieuse, une faute semblable est sans excuse. M. Baudrillart n’est pas de ceux toutefois qui se détient absolument de la charité privée et qui n’admettent sous aucune forme la bienfaisance publique. Il ne voit pas seulement dans l’assistance un de ces devoirs larges, d’autant plus méritoires qu’ils n’obligent pas proprement la conscience ; il y voit une véritable dette envers des infortunes qui ne sont pas toujours l’effet de fautes personnelles et qui, dans le cas même où elles seraient absolument méritées, ne laisseraient pas d’intéresser ce devoir général de solidarité dans lequel se résument tous les liens sociaux, depuis ceux de la famille jusqu’à ceux qui unissent tous les membres de l’humanité.

L’assistance est une dette pour chacun à l’égard des misères qui l’entourent, dans le cercle plus ou moins étendu où peut s’exercer son action bienfaisante ; mais c’est une dette indéterminée, que nul n’a le droit d’exiger et qui laisse à chaque débiteur la plus grande liberté dans le choix des personnes envers qui il s’en acquitte, comme dans celui des moyens qu’il emploie pour s’en acquitter. La forme la plus sûre de l’assistance privée est l’œuvre collective accomplie par de vastes associations, qui peuvent seules se rendre un compte exact des maux à