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la morale : elle vient, à son tour, en aide à la morale pour l’intelligence et la direction de ces vertus. Elle montre les dangers d’une bienfaisance mal entendue. Elle condamne une religion fondée sur la superstition, sur le mépris du travail, sur le fanatisme. Les moralistes de tous les temps ont déclamé contre « le crime de la guerre » ; l’économie politique a seule préparé la réalisation progressive de ce beau rêve de la paix universelle, dont il n’est plus permis de sourire depuis qu’il a pour lui, non seulement de généreux penseurs, mais des esprits voués par la nature même de leurs études à la recherche des solutions positives et pratiquas.

M. Baudrillart combat la morale du sentiment comme la morale de l’intérêt. Cette nouvelle discussion ne nous paraît pas mieux à sa place que la première ; mais, comme celle-ci, elle donne lieu à des considérations d’une très fine et très exacte, psychologie sur le rôle des sentiments les plus désintéressés dans la production et l’usage des richesses. S’inspirant de quelques belles pensées de Vauvenargues, l’auteur montre quels stimulants l’activité pratique, l’énergie féconde reçoit des nobles passions, de la curiosité scientifique, des fortes amitiés, de l’amour des hommes et du patriotisme lui-même, dont la science économique peut corriger l’étroitesse, mais où elle sait reconnaître le plus puissant inspirateur des grandes œuvres dans l’ordre industriel et commercial comme dans l’ordre politique.

Nous ne pouvons entrer dans le détail de toutes les questions traitées dans le magistral ouvrage de M. Baudrillart. Nous en choisirons deux pour une analyse un peu plus étendue.

Ceux qui n’ont qu’une connaissance superficielle de l’histoire des idées sont portés à croire que le droit de propriété n’a été sérieusement contesté que de nos jours. Il a subi dans tous les temps les plus violentes attaques et il a compté parmi ses adversaires les penseurs les plus illustres. Si les passions et les sophismes qui le combattent n’ont pas désarmé de nos jours, on peut dire du moins que jamais il n’a été mieux défendu et que jamais aussi il n’a paru assis sur des bases plus respectables. Or il a été surtout défendu par l’accord de la morale et de l’économie politique. La première a montré la haute moralité des sentiments qui s’attachent à la propriété et des actes qui concourent à la fonder et à la transmettre ; la seconde a justifié ces sentiments et ces actes par l’intérêt bien entendu de l’individu, de la famille et de la société. L’une et l’autre ont appuyé leurs arguments sur une étude précise et approfondie de la nature humaine. À ces arguments vraiment scientifiques on ne peut opposer que les abus de la propriété. Or, le législateur, depuis un siècle, sous l’influence du progrès économique et du progrès moral, s’est appliqué à faire disparaître les plus criants de ces abus. La propriété est sortie du régime du privilège. Le travail personnel, le travail libre et honnête a la plus grande part dans sa conservation et dans son accroissement, alors même qu’elle est acquise par voie héréditaire, et l’hérédité elle-même ne fait qu’associer, dans