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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Alfred Fouillée. — Critique des systèmes de morale contemporains, Paris, librairie Germer Baillière, 1883.

I. La plupart des chapitres de ce livre ont paru sous forme d’articles dans différentes revues, principalement dans la Revue philosophique : ils se retrouvent ici réunis et replacés dans leur véritable cadre. Dans leur ensemble ils constituent la critique la plus subtile et la plus profonde peut-être qui ait jamais été faite des grands problèmes moraux et des solutions qu’en ont proposées les différentes écoles : mais cette critique, dans la pensée de l’auteur, n’est pas purement destructive : elle prépare, elle commence la construction d’une doctrine synthétique qui, justifiant les systèmes les plus divers en leurs prétentions légitimes, les réconciliera tous dans sa compréhensive unité.

Ce qui frappe d’abord le lecteur dans la nouvelle œuvre de M. Fouillée, c’est peut-être par-dessus tout l’incomparable puissance d’imagination et de dialectique qui s’y déploie. Kant a parlé d’une architectonique de la raison pure : si l’on entend par là une sorte d’architecture de la pensée, un art de construction spéculative, l’art d’ordonner, d’opposer, de superposer les idées, M. Fouillée y est passé maître. Il se donne parfois le plaisir de reconstruire lui-même sur un nouveau plan les systèmes d’autrui, et il les renouvelle, il les invente presque en les refaisant : ce sont les mêmes matériaux, mais comme la main qui les arrange est plus savante et plus habile ! Parfois aussi, surtout dans la partie critique, cet art est si grand qu’il se voit trop : tant d’objections et d’arguments s’entre-croisent sur la façade du palais d’idées que l’esprit se fatigue à chercher leurs oppositions et leurs correspondances ; cet ordre est si complexe qu’il s’y perd. Telles les œuvres des grands compositeurs de notre temps étonnent et déconcertent souvent l’oreille par l’extrême complexité de leurs combinaisons musicales.

Mais la simple combinaison des idées n’est à tout prendre qu’un degré inférieur de l’imagination. C’est l’invention, c’est la création des idées qui fait les vrais métaphysiciens comme les vrais poètes. Elle éclate dans toutes les pages de ce livre. Ingénieuses ou profondes, les idées y jaillissent, pour ainsi dire, de toutes parts. Elles semblent