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les avoir beaux ou imposants. L’art hygiénique et l’art médical posent en principe, l’un, que la conservation de la santé, l’autre que la guérison des maladies, sont des fins bonnes et désirables. Ce ne sont pas là des propositions de science. Les propositions scientifiques, affirment des points de fait, une existence, une coexistence, une succession et une ressemblance. Les propositions d’art ne disent pas que quelque chose est, mais commandent ou conseillent. Elles forment à elles seules une classe. Une proposition dont l’attribut est exprimé par les mots devrait, pourrait être, est spécifiquement différente de celle exprimée par les mots est ou sera.

« Il est vrai que dans le sens le plus large du mot, ces propositions mêmes affirment quelque chose comme point de fait. Le fait qu’elles affirment est que la conduite prescrite excite dans l’esprit de celu qui parle le sentiment de l’approbation. Cela pourtant n’atteint pas le fond des choses ; car l’approbation de celui qui parle n’est pas une raison suffisante pour que les autres approuvent aussi, et elle ne devrait pas être concluante même pour lui. En fait de pratique chacun est tenu de motiver et de justifier son approbation, et pour cela il faut des prémisses générales déterminant quels sont les objets propres de l’approbation et leur ordre de préséance.

« Ces prémisses générales avec les principales conclusions qu’on peut en déduire forment (ou plutôt pourraient former) un corps de doctrine qui est proprement l’Art de la vie, dans ses trois branches : la Morale, la Prudence ou Politique et l’Esthétique ; l’Honnête, l’Opportun et le Beau, ou le Noble dans les actions et dans les œuvres de l’homme. Cet art qui (malheureusement, est encore à créer) est celui auquel tous les autres sont subordonnés, puisque ses principes sont ceux qui doivent déterminer si la fin spéciale de chaque art particulier est digne et désirable, et quel rang elle occupe dans la hiérarchie des choses désirables. Tout art est ainsi le résultat combiné des lois de la nature découvertes par la science et les principes généraux de ce qu’on a appelé la téléologie ou théorie des fins, et qu’on pourrait aussi, sans impropriété désigner, en empruntant le langage des métaphysiciens allemands, sous le nom de principes de la raison pratique. »

Examinons cette théorie.

D’abord on ne peut guère fonder une différence bien sérieuse entre la science et l’art en se fondant sur ce que l’une emploie le mode indicatif, l’autre le mode impératif. En effet ce mode impératif peut se remplacer très facilement par un autre mode, le conditionnel par exemple. Conseiller ou commander à une personne de faire une chose, c’est énoncer le fait qu’elle accomplira ce qu’on lui demande