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MANOUVRIER. — la fonction psycho-motrice

permettrait un exposé rigoureusement scientifique. Cependant nous sommes sobre de déductions, ainsi qu’on doit l’être lorsqu’on n’est pas en possession de données absolument démontrées. Il peut arriver, dans ce cas, qu’étant parti d’un principe très voisin de la vérité, on se trouve bientôt conduit graduellement, tout en suivant la meilleure logique, à des erreurs complètes, quelque petit qu’ait été l’écart initial. C’est pourquoi, dans la reconnaissance que nous poussons en ce moment au delà de la physiologie classique, nous préférons encourir le reproche de timidité.

Puisque nous avons assumé la tâche de suivre dans les grandes lignes de leur trajet les courants nerveux, sans pénétrer toutefois dans les labyrinthes intermédiaires entre l’impression sensitive et la réaction centrifuge, il nous faut dire un mot de l’accumulation intra-cérébrale de la force nerveuse.

Divers faits tendent effectivement à démontrer que les centres nerveux, et le cerveau spécialement, sont de véritables accumulateurs des courants apportés par les nerfs. Un homme soustrait à toute excitation cérébrale d’origine périphérique n’en peut pas moins réfléchir, méditer pendant de longues heures. Or, si ce travail n’est pas le fait d’une puissance immatérielle, mais s’il consiste dans une transformation de force accomplie dans les cellules cérébrales, il faut qu’il y ait eu au service de ces cellules une certaine quantité de force nerveuse accumulée dans leur voisinage, de même que pour entretenir le jeu d’une locomotive en marche, il faut un réservoir de vapeur. Ce qui démontre beaucoup mieux l’existence d’une accumulation cérébrale, ce sont les effets produits par la décharge brusque de la force accumulée. Ces effets sont quelquefois surprenants et d’autant plus intenses que le champ cérébral mis en jeu a été plus considérable.

Peut-on expliquer autrement les efforts extraordinaires qui se produisent dans la colère par exemple, dans la colère concentrée surtout, ou bien à la suite d’émotions violentes quelconques survenues, non pas à la suite d’un ébranlement nerveux périphérique d’une force inaccoutumée, qui pourrait faire supposer l’existence d’un courant centripète exceptionnellement intense, mais simplement à la suite d’une sensation visuelle ou auditive qui est venue mettre en émoi toute une chaîne d’idées associées antérieurement, c’est-à-dire un vaste champ cérébral ? N’est-ce pas ainsi que la colère, la peur, la jalousie, survenues à la suite d’une impression sensorielle très ordinaire en elle-même, ou mieux en l’absence de toute excitation d’origine sensorielle, produisent des efforts musculaires parfois étonnants et des mouvements d’une violence inouïe ? Citons encore la décharge