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reste voix et parle des mots. Est-il besoin d’insister davantage[1] ? Qui ne voit que le timbre vague des timbales est expliqué, défini par le timbre psychologique du cor, dans l’ouverture du Jeune Henri ?

La dépendance des timbales par rapport aux instruments vocaux est plus grande encore lorsqu’elles ne remplissent qu’une fonction accessoire. « Toutes les fois, dit Berlioz, qu’il s’agit de faire entendre des sons mystérieux, sourdement menaçants, même dans un forte, c’est aux baguettes à tête d’éponge qu’il faut avoir recours[2]. » Les timbales, dans le cas présent, ne récitent ni ne chantent : elles caractérisent seulement. Et, si nulle voix instrumentale ne récite ni ne chante au-dessus d’elles, il y aura une sonorité caractérisant sans sonorité caractérisée. Ce non-sens, en grammaire, c’est un adjectif sans substantif, un qualificatif sans sujet. La musique sur ce point a la même loi que la grammaire. Dans notre exemple, elle à un sujet caractérisé : c’est l’ensemble des instruments chantants de l’orchestre, dont la voix est rendue mystérieuse et sourde en ses menaces par les roulements serrés et étoupés de l’instrument de percussion.

Insistons sur cette frappante ressemblance entre le signe verbal et le signe musical, toutes différences d’ailleurs réservées. Comme le signe verbal, le signe musical est ici substantif, là adjectif. Le coup de timbales, timbre particulier, signe musical caractéristique qui fait dire à mon imagination : coup de fusil, remplit l’office de substantif. Mais, de même que certains substantifs servent à dénommer plusieurs objets différents et n’ont leur signification déterminée que par d’autres mots qui les accompagnent, de même notre coup de timbales, substantif musical, convient à plusieurs bruits différents et n’a son sens particularisé, défini que par d’autres termes de la phrase musicale. Ces termes sont les sonorités caractéristiques des instruments vocaux. Premier résultat de l’analyse.

Considérons l’autre aspect du timbre. Comme le signe verbal, le signe musical peut être adjectif. Le roulement de timbales, série des notes d’un timbre particulier, signe musical caractéristique qui fait dire à mon imagination : effet mystérieux, menaçant, lugubre, remplit l’office d’adjectif, non de substantif, puisqu’il ne m’apprend pas à lui tout seul quel est l’être qui est mystérieux, menaçant, lugubre. Mais, de même que les mêmes adjectifs servent à qualifier beaucoup d’êtres différents et n’ont leur qualification substantivement

  1. Littré, Dictionnaire de la langue française, au mot Hucher. — La Vénerie, per Jacques du Fouilloux, in-4o, Angers, 184%, p. 47 et suivantes. — L. Pillaut, Instruments et musiciens, p. 58 et suivantes.
  2. Grand traité d’instrumentation et d’orchestration, p. 262.