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Telle est la conclusion à laquelle arrivent tous ceux qui expérimentent sur ce phénomène. La conclusion est juste, mais l’application est insuffisante. Le lecteur n’aura pas de peine à comprendre qu’il reste toujours à savoir comment on peut avoir prise sur une hallucination, en modifiant un élément extérieur. C’est là le nescio quid inconcussum de toutes les expériences. Comment se fait-il, par exemple, qu’on dédouble l’hallucination en dédoublant une sensation visuelle ? A priori, on concevrait plutôt que l’image hallucinatoire doit rester unique tandis que la sensation se dédouble. Le point de repère est une chose, l’hallucination en est une autre. L’un est un fait extérieur, l’autre est un phénomène cérébral. Pourquoi ces deux éléments ne jouissent-ils pas d’une indépendance réciproque ?

Devant la question ainsi posée le physiologiste reste sans réponse. Le psychologue seul peut résoudre la difficulté, car seul il peut comparer l’hallucination à la perception externe, rapprocher le fait pathologique du fait normal, et expliquer le premier par le second.

Ces points de repère dont nous avons si souvent parlé, le trait au crayon sur la feuille de papier, le point déterminé de la table, du sol ou du mur, représentent, dans l’hallucination, l’élément sensoriel de la perception externe. L’hallucination est une perception déséquilibrée, dans laquelle l’élément idéal, l’image, a subi une hypertrophie énorme et monstrueuse, tandis que l’élément sensoriel se trouve réduit à presque rien.

Or nous avons établi en temps et lieu que dans la perception d’un objet extérieur les images suggérées par impression des sens s’associent à cette impression et en subissent toutes les modifications ; et que notamment la pression oculaire et le prisme exercent le même effet de dédoublement et de déviation sur la sensation et sur les images. L’hallucination ne fait que grossir ce phénomène et le rendre plus apparent.

Il suffira donc d’appliquer les mêmes considérations aux deux expériences nouvelles de la lorgnette et du miroir ; par cette comparaison avec l’état normal, on comprendra sans difficulté comment il se fait qu’une lorgnette puisse rapprocher et qu’un miroir puisse réfléchir un objet imaginaire, c’est à dire, en somme, quelque chose qui n’existe pas.

On regarde un objet extérieur avec une lorgnette ; l’objet parait plus rapproché, plus grand et plus distinct. Cette modification porte sur l’objet tout entier, c’est-à-dire sur un agrégat de sensations et d’images. On peut donc dire, pratiquement, qu’une lorgnette exerce une action sur la distance et sur la grandeur d’une image mentale projetée au dehors. Cet effet n’a lieu, bien entendu, que parce que