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Nous sommes donc assurés que nos sujets, au moment où nous leur donnons des hallucinations, sont réellement dans l’état somnambulique ; car un individu éveillé ne tombe pas en léthargie instantanément, par la seule occlusion des yeux. Mais somnambulisme et supercherie ne son pas des termes qui s’excluent forcément. Il est possible qu’un sujet soit réellement somnambule, et profite de l’exaltation des fonctions intellectuelles que confère cet état pour simuler certains phénomènes psychiques et tromper le magnétiseur. Le fait s’est présenté naguère dans des circonstances qu’on n’a pas oubliées.

Nous devons donc rappeler que chacune de nos expériences porte avec elle la preuve de sa véracité. Quand le prisme est placé devant l’œil d’un de nos sujets, celui-ci ne peut savoir dans quelle direction on tourne l’angle réfringent ; il ne connaît pas davantage les propriétés du prisme. Or, si c’était un simulateur, il faudrait qu’il combinât exactement ces deux notion l’une avec l’autre, pour pouvoir déterminer exactement la déviation de l’image hallucinatoire. Quand on se sert de la lorgnette, on peut empêcher complètement le sujet de savoir si c’est l’oculaire ou l’objectif qui est en face de son œil ; cependant ses réponses sont toujours justes. Le prisme, mis à plat sur un carton portant un portrait imaginaire, détermine dans l’image sous-jacente des modifications que des personnes instruites ignorent généralement avant de les avoir constatées ; cependant le sujet n’hésite point à décrire ces modifications, et on ne le trouve jamais en défaut. Enfin, s’il est assez connu que le miroir produit des images symétriques, cette symétrie donne lieu à des phénomènes très complexes, lorsqu’on fait réfléchir dans le miroir une feuille de papier couverte de caractères écrits, et que de plus on renverse la feuille suivant ses bords. Y a-t-il beaucoup de personnes qui, sachant que l’écriture est vue dans le miroir renversée de gauche à droite, se rendent compte que lorsqu’on renverse la feuille écrite, l’écriture réfléchie est renversée de haut en bas, mais cesse d’être renversée de gauche à droite ? L’hypnotique se joue de toutes ces difficultés, qui évidemment n’existent pas pour lui, car il voit et n’a pas besoin de raisonner.

Faut-il encore ajouter que toutes nos expériences ont été répétées un grand nombre de fois, et dans un grand nombre de séances ? Faut-il enfin faire remarquer que ces mêmes expériences concordent entre elles, et se réunissent toutes dans une formule unique : l’objet imaginaire est perçu dans les mêmes conditions qu’un objet réel ? Il n’y a rien là qui ressemble à l’incohérence ordinaire des créations de la fantaisie, Il serait abusif d’insister plus longtemps.