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A. BINET. — l’hallucination

l’image hallucinatoire (par exemple, une patte d’araignée devient énorme), mais nous n’avons jamais vu l’hypnotique découvrir des détails invisibles à l’œil nu.

Le miroir. — Un objet réel se réfléchit dans un miroir quand certaines conditions sont remplies relativement à la position de l’objet, du miroir et de l’observateur ; dans les mêmes conditions, l’objet imaginaire se réfléchit également.

On suggère à l’hypnotique la présence d’un corps quelconque, pigeon, rat, livre, sur un point de la table qu’on indique avec le doigt ; en faisant réfléchir ce point de repère dans le miroir, on fait apparaître à la malade un second pigeon, un second rat, un second livre. L’expérience réussit toujours.

Pendant que le miroir est en place, on dit à la malade de regarder le beau papillon qui s’est posé sur la table ; elle répond aussitôt qu’il n’y en a pas seulement un, mais deux. On lui commande alors de les saisir tous les deux. Elle fait le geste de prendre celui qui est posé devant le miroir, puis elle le pique à son corsage avec une épingle ; ensuite, elle essaye d’attraper le second papillon, celui qui est réfléchi par le miroir, celui qui est virtuel ; mais sa main, rencontrant la glace, ne peut parvenir jusqu’au point que l’insecte paraît occuper.

Le manège de Wit… est curieux à étudier à ce moment. Après s’être heurtée plusieurs fois de suite contre la paroi de verre, elle s’arrête avec dépit ; malgré notre injonction, elle refuse absolument de continuer ses tentatives, en répétant : je ne peux pas ! je ne peux pas ! Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que bien que la malade ait saisi et mis de côté le premier papillon, elle continue à percevoir le second dans la glace. Nous reviendrons sur l’explication de ce fait.

Il est aisé de démontrer que le sujet ne place point l’objet imaginaire sur la surface du miroir, mais qu’il le voit bien réellement réfléchi dans le miroir. En effet, si on avance, si on éloigne, si on incline le miroir de telle sorte que le point de repère choisi cesse de se réfléchir pour les yeux de la malade, la double vision disparaît[1] .

Enfin, il n’est pas inutile d’ajouter que la malade ne se doute pas de la présence du miroir. Aucun de nos trois sujets ne pouvait reconnaître la nature des objets réels qu’on plaçait sous leurs yeux.

Recourons maintenant à l’hallucination du portrait, afin d’étudier de plus près ces phénomènes de réflexion. On place sur le carré de papier blanc qui nous a déjà servi un prisme à réflexion totale ; la

  1. Le miroir placé devant le point de repère fait office de corps opaque. De là des conséquences que le lecteur peut déduire de lui-même.