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A. BINET. — l’hallucination

traire, il est prouvé qu’une hallucination peut posséder à la fois des caractères appartenant aux genres que nous avons si soigneusement distingués, notre classification ne vaudra rien et la comparaison poursuivie entre la perception et l’hallucination deviendra un simple jeu d’esprit.

Ainsi donc, dès maintenant, le problème des hallucinations est déplacé ; nous le portons sur le terrain des faits. Écartant les hallucinations centrales, nous allons passer rapidement en revue les hallucinations périphériques, en commençant par les subjectives. Dans tout ce qui suit, nous ne parlerons que des hallucinations dela vue.

Hallucinations hypnagogiques. — Les hallucinations de ce nom se développent dans le passage de la veille au sommeil ; elles constituent le véritable type de l’hallucination subjective.

Beaucoup de physiologistes ont décrit ce phénomène d’après leur expérience personnelle. Gruthuisen, Purkinje, Burdach, Müller, Baillarger, Maury[1] nous ont fourni un riche contingent d’observations. Il faut d’abord noter un point important : l’image fantastique est habituellement précédée de phénomènes d’excitation rétinienne, produits selon toute vraisemblance, par des changements de tension sanguine. Le sujet qui s’assoupit commence par apercevoir des lueurs, des masses vagues semées de petits points colorés, des stries, des filaments ; l’apparition de ces images amorphes précède la vision de formes arrêtées et à contours définis. Maury a émis l’idée que l’hallucination naît de ces spectres subjectifs et en dérive par une sorte de transformation. « Quand je soufre, dit-il, de congestion dans la rétine, je vois généralement, les yeux fermés, des mouches colorées et des cercles lumineux qui se dessinent sur ma paupière. Eh bien, dans les courts instants où le sommeil m’annonce son invasion par des images fantastiques, j’ai souvent constaté que l’image lumineuse qui était due à l’excitation du nerf optique s’altérait en quelque sorte sous les yeux de mon imagination et se transformait en une figure dont les traits brillants représentaient ceux d’un personnage plus ou moins fantastique. Il m’a été possible de suivre durant quelques secondes les métamorphoses opérées par mon esprit sur cette impression nerveuse primitive, et j’apercevais encore sur le front et les joues de ces têtes, la couleur rouge, bleue ou verte, l’éclat lumineux qui brillaient à mes regards, les yeux fermés, avant que l’hallucination hypnagogique eût commencé[2]. »

  1. Müller, Manuel de physiologie, trad. franç., t.  II, p. 536 ; Burdach, Traité de physiologe, Trad. franç., t.  V, p. 205 : Baillarger, Annales médico-peychol., Paris, 1845 : Maury, Sommeil et rêves, p. 41.
  2. Maury, Sommeil et rêves, p. 50.