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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

sa sensibilité musicale sans pareille, il perçoit l’aptitude expressive des timbres divers, puis, dans son langage saisissant, il la signale et en déduit des conseils pour le compositeur. Mais s’il ouvre au lecteur un riche trésor de faits, s’il proclame ces faits de sa voix vibrante, il n’analyse pas, il ne démontre pas, il ne vérifie pas. C’est au psychologue à prendre le travail au point où Berlioz le laisse. Je vais être le premier à en risquer l’aventure et à essayer de tracer une psychologie non de tous les timbres de l’orchestre, au moins de quelques-uns. Si je me trompe en plus d’un point, d’autres n’auront qu’à renouveler l’entreprise. Je leur aurai montré et ouvert la route. Et, afin de ne pas trop abonder dans le sens de Berlioz exclusivement, je rapprocherai de ses explications celles des théoriciens de la sonorité qui auront traité soit en passant, soit avec quelque étendue, les mêmes questions que lui.

La musique pittoresque, dont je conserve malgré moi le nom qui, pris à la lettre, est purement absurde, puisqu’on ne saurait peindre avec des sons et pour les oreilles, la musique pittoresque a plus d’une visée ; mais l’une des principales est, dit-elle, de représenter les voix de la nature. Or, comme ces voix sont des bruits, cette musique a souvent recours aux instruments bruyants, parmi lesquels on ne disputera pas certainement le premier rang à la grosse caisse. Commençons par elle.

« Les instruments de percussion, dit M. L. Pillaut, représentent dans l’orchestre l’élément le plus simple de l’art musical, le rythme, qui est la mesure du mouvement. » — « L’orchestre moderne n’a retenu de tous ces instruments que les timbales, la grosse caisse et les cymbales qui y restent à l’état permanent. » — « Si la grosse caisse est venue tard dans notre musique, en revanche elle a bien rattrapé le temps perdu[1]. » Sur cette famille d’instruments, le Manuel de Choron et Adrien de Lafage tient à peu près le même langage et, sur la grosse caisse, est encore plus bref : « À l’exception des timbales et tambours, dont on peut fixer le ton, les instruments de percussion ne sont autre chose que des moyens de renforcer le rythme… » — « La grosse caisse s’emploie dans la musique militaire et dans les grands tutti de l’orchestre, ainsi que dans certains airs de danse[2]. » Écoutons maintenant Berlioz et comparons :

« Parmi les instruments à percussion dont le son est indéterminable, c’est à coup sûr la grosse caisse qui a causé le plus de ravages, amené le plus de non-sens et de grossièreté dans la musique moderne. Au-

  1. Instruments et musiciens, pages 80, 81, 85.
  2. Seconde partie, tome III, pages 70 et suivantes.