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A. BINET. — l’hallucination

immédiatement le sujet s’étonne de voir deux profils, et toujours l’image fausse est placée conformément aux lois de la physique. Deux de ces sujets peuvent répondre conformément dans l’état cataleptique ; ils n’ont aucune notion des propriétés du prisme ; d’ailleurs on peut leur dissimuler la position précise dans laquelle on le place[1]. »

Concluons : ces rapprochements multiples qu’une observation attentive découvre entre la perception extérieure et l’hallucination démontrent avec une grande force que ces deux phénomènes sont de même nature, et que le second est une perturbation du premier. Notons que tous les phénomènes précédents, qui sont communs à la perception et à l’hallucination, appartiennent aussi à l’illusion des sens.

Arrivés à ce point de notre étude, nous pouvons juger une théorie souvent émise, souvent combattue, mais toujours renaissante, d’après laquelle l’hallucination consisterait simplement dans l’extérioration d’idées vives. Cette théorie renferme une part de vérité. Nous avons vu précédemment que l’élément intellectuel de l’hallucination est constitué par des idées, ou représentations mentales, Mais la représentation mentale, prise en elle-même, ne peut expliquer aucun des phénomènes sur lesquels nous venons de nous étendre. Elle m’explique pas du tout comment l’hallucination est extériorisée et localisée avec la dernière précision dans le monde extérieur, au milieu des objets réels. Elle n’explique pas davantage l’existence des hallucinations unilatérales. Elle explique encore moins l’action de la pression et l’action du prisme sur les hallucinations visuelles. Au contraire, si l’on étudie, comme nous l’avons fait, l’image soudée à la sensation, et constituant, par cette union, l’acte connu sous le nom de perception sensorielle, on reconnaît que l’image acquiert, par le fait de celle alliance, des propriétés qu’elle ne possède pas isolément.

Ne craignons pas d’insister sur ce point, qui est pour nous d’une importance capitale. Une idée-image localisée au milieu des objets extérieurs, à une distance déterminée de l’œil et de la main, — une idée que l’on voit en ouvrant l’œil droit, et qu’on ne voit pas de l’œil

  1. Férè. Mouvements de la pupille et propriétés du prisme dans les hallucinations provoques des hystériques, Progrès médical, 1881, p. 1041. « Un point intéressant à remarquer, ajoute le même auteur, c’est que, pour une distance donnée, le prisme provoque où ne provoque pas un dédoublement de l’image, suivant qu’on le place devant l’œil le plus près de l’état normal ou devant l’œil le plus amblyopé. Du reste, à l’état de veille, on observe le même phénomène dans la vision des objets réels. » C’est un nouveau rapprochement entre l’hallucination et la perception sensorielle.