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A. BINET. — l’hallucination

nous préférons ne pas interrompre la marche d’une exposition déjà difficile à conduire avec ordre. Il nous suffira de retenir, comme un fait acquis, que l’illusion des sens est un trait d’union entre la perception sensorielle et l’hallucination. Même pour ceux qui se rangent à l’opinion commune, la différence de l’illusion et de l’hallucination n’est que dans le point de départ.

V

On vient de voir que la perception et l’hallucination sont deux actes similaires. Ils ont la même composition mentale. Ils supposent tous deux le concours des sens et de l’esprit. Ils sont formés également par une association de sensations et d’images. Continuons ce parallèle, et de nouveaux traits de ressemblance vont nous être révélés.

Nous allons insister sur le rôle des images.

En règle générale, les images (idées, souvenirs, notions abstraites) qui se succèdent dans le champ de l’esprit suivant un ordre fixé par les lois d’association, sont en dehors de la sphère de l’expérimentation. Quand je songe à un ami absent, et que l’image visuelle de sa figure vient s’offrir à ma pensée, je n’ai point de prise sur cet état interne et subjectif. Bien que cet état soit la copie et le calque d’une impression antérieure, je ne me sens pas maître de le modifier de la même façon que je modifie une impression actuelle causée par un objet extérieur, c’est-à-dire, en me rapprochant ou m’éloignant de l’objet, eu en fermant les yeux etc. Ceci reste vrai, alors même que l’image atteint un degré suffisant de netteté pour être projetée au dehors. Brierre de Boismont, qui s’était exercé à imprimer en lui la figure d’un ecclésiastique de ses amis, avait acquis le pouvoir de l’évoquer les yeux ouverts ou fermés ; l’image lui paraissait extérieure, placée dans la direction du rayon visuel ; elle était colorée, délimitée, pourvue de tous les caractères appartenant à la personne réelle. Mais il va de soi que cet aliéniste n’arrivait pas à modifier par les mouvements de son corps la perspective de cette image, qui, malgré son éclat, et un commencement d’extérioration, conservait en somme les caractères de la vision interne. Bref, on peut expérimenter sur la sensation, on ne peut pas ou presque pas expérimenter sur l’image. C’est là un des caractères sur lesquels Bain a fondé la distinction de objectif et du subjectif.