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A. BINET. — l’hallucination

Voilà assez de faits pour permettre de conclure que l’hallucination est un délire qui a sa racine dans les sens ; il ne faut pas oublier néanmoins que la sensation est simplement la cause occasionnelle du phénomène ; la véritable cause est dans l’état particulier des centres nerveux. Chez l’halluciné, ce ne sont pas les organes des sens qui sont malades, c’est l’intelligence. Finalement, nous revenons à notre proposition du début : l’hallucination est comme la perception normale des objets extérieurs, un acte mixte, un phénomène psycho-sensoriel. Nous avons vu dans quelles explications il faut entrer pour bien comprendre cette expression. Disons en terminant qu’elle est défectueuse et peut donner lieu à des erreurs. Quelques auteurs opposent l’élément psychique à l’élément sensoriel comme deux termes qui correspondraient à la dualité de l’âme et du corps. Cette opinion est évidemment insoutenable ; l’élément psychique de l’hallucination dépend, aussi étroitement que l’élément sensoriel, de conditions physiologiques dont il ne faut pas le séparer. Pour éviter de soulever à ce sujet une discussion de métaphysique, il serait préférable d’appeler l’hallucination un phénomène cérébro-sensoriel.

C’est une question difficile que celle de décider si toutes les hallucinations ont la même nature. M. Baillarger, et après lui beaucoup d’auteurs ont admis l’existence d’hallucinations incomplètes, formées uniquement par un travail de l’intelligence, et étrangères à l’action des organes sensoriels : ce sont les hallucinations psychiques. Un grand nombre d’hallucinations de l’ouïe seraient de cette nature ; on s’appuie, pour en démontrer l’existence, sur le témoignage des auteurs mystiques, qui ont de tous temps distingué des voix corporelles et des voix intellectuelles ; d’autre part on invoque les termes dont se servent les aliénés pour décrire ce qu’ils éprouvent. Ils disent qu’ils ne perçoivent aucun son, mais qu’ils entendent la voix de la pensée, que la voix est tout intérieure, intellectuelle et sans aucun bruit de parole, que c’est le langage des esprits, une conversation d’âme à âme, etc. D’autres croient posséder un sixième sens, ou une faculté qu’ils décorent des noms les plus bizarres. On a voulu trouver dans ces expressions la preuve que l’organe de l’ouïe n’est point intéressé.

Les aliénistes n’ont pas tous accepté la théorie des hallucinations psychiques, qui en effet soulève plus d’une objection ; s’il est vrai que les sens n’interviennent pas dans la production de ces phénomènes, peut-on les classer avec les autres troubles des sens ? peut-on en faire des hallucinations ? Ne faut-il pas plutôt les considérer comme un genre de délire ?