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En résumé, lésion plus ou moins profonde de cette perception complexe qu’on appelle la lecture.

Ce malade avait perdu également toute une série de perceptions d’un autre ordre, que les psychologues appellent des actes de reconnaissance individuels. Cette perte était une conséquence logique, directe et immédiate de la suppression des images de la vue.

« Chaque fois que M. X… retourne à A…, d’où ses affaires l’éloignent fréquemment, il lui semble entrer dans une ville inconnue. Il regarde avec étonnement les monuments, les rues, les maisons, comme lorsqu’il y arriva pour la première fois. Paris, qu’il n’a pas moins fréquenté, lui produit le même effet. Le souvenir revient pourtant peu à peu, et, dans le dédale des rues, il finit par retrouver assez facilement sa route… « Le souvenir visuel de sa femme, de ses enfants est impossible. Il ne les reconnaît pas plus d’abord que les rues d’A…, et, alors même qu’en leur présence il y est parvenu, il lui semble voir de nouveaux traits, de nouveaux caractères dans leur physionomie.

« Il n’est pas jusqu’à sa propre figure qu’il oublie. Récemment, dans une galerie publique, il s’est vu barrer le passage par un personnage auquel il allait offrir ses excuses et qui n’était que sa propre image réfléchie par une glace. »

On voit à ces symptômes que le malade a perdu la faculté de reconnaître les objets particuliers. L’acte de reconnaissance individuelle n’est qu’une forme de la perception externe ; mais cette forme est si élevée qu’elle tend à se confondre avec les actes conscients de comparaison et de jugement : elle sert de transition entre la perception externe et le raisonnement logique.

Reconnaître un objet comme présentant telle grandeur et occupant telle position dans l’espace est un acte en grande partie inconscient et automatique. Reconnaître un objet comme appartenant à une classe, par exemple à la classe des oranges, suppose une opération de classement un peu plus complexe. Enfin reconnaître un objet particulier, par exemple telle rue ou telle personne, est un acte de perception plus compliqué que tous les autres, car il exige l’intervention d’images mentales particulières à cet objet et n’appartenant à aucun autre. On comprend donc que chez notre malade ce dernier genre de perception ait été aboli par un travail pathologique qui a respecté les perceptions plus simples et plus automatiques.

Enfin, dernière remarque, chez M. X… l’examen de l’œil a donné un résultat complètement négatif. On n’a noté qu’un léger affaiblissement de la sensibilité chromatique intéressant également