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nombre de formes, est-ce là posséder une idée abstraite et générale, à n’importe quel degré, de qualité brûlante, et l’appliquer, soit à un, soit à plusieurs cas ? J’en doute.

Même à l’âge de quinze mois, l’enfant dira : la bougie brûle, le feu brûle, la braise brûle, la soupe brûle. Que faut-il voir ici ? Des cas de ressemblance, tous particuliers, auxquels se relient certains mouvements spéciaux, et, si l’on presse l’enfant de questions, une vague tendance à saisir entre eux une analogie. Mais ce n’est pas cette idée d’analogie, même quand on la supposerait plus nette qu’elle ne l’est à l’âge de trois ou quatre ans, qui intervient en rien dans l’accomplissement des actes correspondant à cette phrase de l’enfant : « J’évite le feu, parce qu’il brûle. » L’enfant sait que le feu brûle, et il fait ce qu’il sait faire pour le fuir : voilà tout. C’est affaire au ogicien d’affirmer, non seulement qu’un objet d’une certaine espèce qui se présente à ses yeux ou se représente dans sa pensée a telle ou telle qualité, mais d’exprimer la conviction qu’un objet de la même espèce a eu et aura cette qualité en quelque temps et en quelque lieu que ce soit. Ce n’est ni l’affaire de l’enfant, ni même, en général, de l’adulte de raisonner ainsi. C’est seulement après coup que celui-ci applique sa faculté de généraliser aux données particulières du raisonnement[1].

    contact nécessite, soit un état de fuite ou de défense, soit un effort de capture. » Quelque variété de détermination qu’un mode d’activité soit appelé à revêtir, en se spécialisant, les concepts qui le dirigent, qui dirigeront par la suite ses différentes fonctions, auront toujours pour forme l’absolu. Comme l’ont proclamé depuis longtemps les écoles de la Grèce, il n’y a de science que de l’universel. Mais cet universel ne manifeste rien de plus qu’une tendance. Une idée générale n’est point à elle-même sa propre justification : fondée sur l’expérience, l’expérience peut la transformer, etc… » — Réformée ou perfectionnée par l’expérience, cette tendance ne peut, selon moi, se confondre avec un concept général : l’application, l’extension, l’inférence qui en résulte n’est, comme le dit H. Spencer, — qu’ « un ajustement des rapports internes aux rapports externes », — un processus d’expériences associées ou groupées.

  1. Conférez Paul Janet (Rev. phil., août 1881) : « L’enfant qui s’est brûlé une fois le doigt au flambeau le retirera, une autre fois, pour ne pas se brûler de nouveau ; et il aura raison, mais par hasard ; car une autre fois, en agissant de même, il pourra avoir tort ; car par exemple, s’il a mangé une fois un fruit amer, il pourra ensuite refuser ce fruit, croyant qu’il doit être amer : et ce sera une erreur. Toutes les erreurs, les superstitions, sont de fausses inférences du particulier au particulier. C’est sans doute un des grands principes de la prudence dans la vie pratiqué ; mais c’est un principe d’erreur et de paresse intellectuelle autant que de perfection pratique. Or, si nous nous demandons dans quel cas le passage du particulier au particulier est vrai, nous verrons que c’est lorsqu’il est réellement un passage du particulier au général ; nous ne pouvons prévoir le particulier qu’en tant qu’il est général : ainsi je ne peux rien prévoir de Paul en tant que Paul, mais seulement en tant qu’homme. » Ce que M. Janet appelle ici le général n’est pour nous que le semblable, dont il a été fait un plus ou moins grand nombre d’expériences, mais qui ne cesse pas d’être particulier.