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bien d’autres, le compositeur a réussi ; mais le principe est inattaquable.

Enfin est-il exact de dire qu’on en viendrait à faire une mosaïque de différents styles, au cas où l’on aurait à mettre en scène plusieurs personnages de nationalités diverses ? Je ne le crois pas. C’est l’affaire du compositeur d’arranger et d’harmoniser les styles différents. Un peintre peut représenter dans son tableau des personnages appartenant à des nationalités diverses, sans pécher contre l’unité de style. De même un compositeur. Dans un opéra même, tous les personnages n’ont pas les mêmes passions, et chacun chante ou doit chanter d’une manière personnelle, chaque personnage doit avoir son caractère propre, ce n’est nullement incompatible avec l’unité de l’ouvrage. Unité n’est pas uniformité.

Le chapitre sur la folie, l’extase et le mysticisme en musique commence malheureusement par une erreur psychologique assez grosse « On dit généralement que la musique exprime des sentiments ; j’en conclus qu’elle ne peut pas rendre ce qui appartient purement à l’intelligence, et que par conséquent elle ne peut pas non plus en peindre les aberrations. Telles sont la folie, l’extase, le mysticisme, » Ni la folie, hi l’extase, ni le mysticisme ne sont affaires de pure intelligence ; il y a bien souvent dans la folie, toujours dans l’extase et le mysticisme un dérangement des facultés affectives aussi bien que des facultés intellectuelles, et l’on ne sait guère à priori pourquoi la musique serait impuissante à les exprimer au moins dans une certaine mesure. M. Weber se borne à passer en revue divers exemples de cas où le compositeur, ayant voulu rendre un de ces états pathologiques de l’âme, a, d’après lui, totalement échoué. Je conviens que l’air de Lucie au troisième acte ne signifie absolument rien au point de vue qui nous occupe ; mais }e ne puis rien conclure de ce fait, sinon que Donizetti ne se préoccupait peut-être pas toujours assez de conformer sa musique à la situation, que dans tous les cas il n’y réussissait pas suffisamment. M. Weber me semble sévère pour la mélodie exprimant l’extase de Marcel dans les Huguenots. « Raoul et Valentine, ajoute-t-il, chantent absolument comme Marcel, quoiqu’ils ne soient pas visionnaires comme lui. » Il n’est pas tout à fait exact de dire que Raoul et Valentine chantent à ce moment-là absolument comme Marcel, et l’on pourrait trouver dans la phrase du vieux soldat certains caractères qui ne se manifestent point dans celle des deux amants mais cela importe peu ici, car ces caractères n’ont rien à faire avec l’extase, et ne font que donner un caractère plus personnel à l’extase de Marcel ; toutefois Meyerbeer pourrait se défendre en disant que Raoul et Valentine, quoiqu’ils ne partagent pas la vision de Marcel, partagent jusqu’à un certain point les sentiments que cette vision lui fait éprouver et peuvent par conséquent chanter une phrase musicale analogue à la sienne. Pour ce qui est de la valeur même de la phrase musicale de Meyerbeer et de son rapport avec le sujet, je trouve que le compositeur a bien rendu l’enthousiasme,