Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
ANALYSES.weber. Les illusions musicales.

C’est par ce dernier chapitre que nous commencerons, car les opinions de M. Weber sur l’expression musicale nous permettront de mieux examiner ses théories sur les illusions. M. Weber discute la théorie de Hanslick, qu’il n’accepte pas. D’après lui la musique exprime ou plutôt peut et doit dans certains cas exprimer certains sentiments. Je cite les principaux passages du chapitre :

P. 193 « Il ne faut dire ni que l’expression musicale ne peut jamais se traduire en paroles, ni qu’elle doit le pouvoir toujours. Très souvent, on peut indiquer suffisamment le caractère d’une œuvre en paroles, mais il est bien naturel que, par la trop grande différence entre le langage musical et le langage articulé, cette traduction ne puisse pas toujours se faire ; le caractère d’une œuvre et l’impression qu’elle produit n’en sont pas moins certains. Je reviens à un exemple que j’ai déjà cité : c’est la musique des entr’actes du Songe d’une nuit d’été par Mendelsshon. Les quatre morceaux ont une expression, ou si l’on aime mieux, un caractère bien marqué, impossible à méconnaître. J’ai parlé du scherzo et de l’intermezzo, exprimant l’inquiétude, l’agitation, les tourments d’Hermia égarée, ou, si l’on veut, ayant l’allure inquiète, agitée, vagabonde d’une personne perdue dans une forêt. Le nocturne et la marche ne sont pas moins bien caractérisés. »

P. 195 : « Un fait auquel personne ne paraît encore avoir fait attention, c’est qu’il n’est nullement nécessaire ni possible que toute musique ait une expression propre… Si l’on trouve incontestablement des mélodies ayant un caractère bien marqué, d’autres et peut-être la plupart ont une expression moins déterminée ; souvent même, elles sont agréables sans avoir d’autre mérite. »

P. 210 : « La musique peut si bien avoir différents caractères qu’il y en a que personne, ayant un peu l’habitude de l’art, ne méconnaît, sans pouvoir cependant en apprécier toutes les nuances ; ainsi on voit bien si une musique est gaie, triste, caressante, sérieuse, majestueuse, folâtre, douce, agitée ou dramatique ; on sent encore si elle est distinguée ou si elle est triviale, quelque vive et émoustilllante qu’elle puisse être dans sa vulgarité. »

P. 193 : « La manière dont on parle ordinairement de la musique est d’ailleurs assez incorrecte… On dit : Tel morceau de musique exprime l’amour ou la colère, quoique l’on ne puisse pas plus exprimer l’amour ou la colère qu’on ne peut peindre l’arbre ou le cheval ou la maison. On devrait dire que telle musique exprime d’une certaine manière de l’amour ou de la colère. L’emploi du mot « exprimer » a même été critiqué ; mais il faut bien se servir d’un mot, que ce soit celui-là ou un autre. »

La théorie de M. Weber sur l’expression musicale, qui me paraît fort acceptable[1] dans sa généralité et qui d’ailleurs n’a d’original que cer-

  1. Il faudrait cependant établir une hiérarchie des différents genres de musique, peut-être ici la théorie de Hanslick en une théorie analogue reprendrait-elle quelque avantage.